1. Papyrus


    Datte: 29/09/2018, Catégories: nonéro,

    Ils partageaient la même cavité amniotique. C’était un état qui marquerait leur existence mais dont ils n’auraient jamais le souvenir. Ils se ressembleraient. Puis en prenant de l’âge, les jumeaux se différencieraient. La personnalité se forgerait. Les rencontres les modèleraient. Ils nageaient dans un liquide doux et tiède. Une cloison de chair laissait passer des ombres. Il y avait un écho mat et régulier. De temps à autre, ils ouvraient les yeux. Devinaient un monde étouffé. Depuis l’extérieur, mais ce concept ne leur était pas familier, leur parvenait la rumeur d’un univers gigantesque. Ils ouvraient les yeux. Ne se voyaient pas. Mais ils n’étaient pas seuls. Quelque chose en eux vibrait. Un autre. Le même. Ils bougeaient la main. Tournaient sur eux-mêmes. Et leurs mouvements étaient symétriques, parfaitement identiques. L’un dormait longtemps. L’autre non. Comme s’il veillait. Les rares fois où les deux sortaient de ce sommeil qui semblait sans fin, ils pouvaient ressentir une force, une puissance souterraine qui électrisait le liquide clair. Mais il vint un moment où l’un des deux n’ouvrit pratiquement plus les yeux. Ses mouvements s’étaient ralentis. Ses bras ne remuaient plus. Dans la cavité, les membranes chaudes frémissaient. Il y avait des dépôts. Il y avait des particules. Le deuxième observait. Il attendait les étranges signaux qui le rassuraient tant. Mais rien ne se passa. Et bientôt, il n’y eut plus que ses propres impulsions, ses seuls déplacements. Et quand ...
    ... il ouvrait les yeux désormais, une forme sombre appuyait sur le mince rideau de chair. Inerte et effrayante. Paul La dernière fois que je l’ai vu, il y a deux semaines, Lucas avait l’air fatigué. Vraiment, il avait une mine terrible. On a passé un moment dans un petit café près du centre. Il pleuvait. Je lui parlais mais il ne semblait pas réceptif. Quelque chose le tracassait. Il a bu trois cafés. Il remuait les jambes sous la table. Serrait ses mains nerveusement. Je lui ai demandé ce qui n’allait pas, il m’a dit qu’il dormait mal ces derniers temps. Je l’observais. Tandis que je parlais de tout et de rien, boulot, cinéma, musique, ce genre de conneries, je le regardais. J’ai pris mon temps parce que j’en avais. Parce que s’adresser à quelqu’un qui n’écoute pas, qui ne répond rien et qui jette des coups d’œil nerveux à gauche et à droite, donne un certain confort à l’observation. Au bout d’un moment, je lui ai à nouveau demandé ce qui n’allait pas. Il a regardé par la vitrine. Il faisait presque nuit tellement le ciel était chargé. Il avait envie de fumer, jouait avec son paquet. Alors on est sortis. Et il s’est mis à parler. Vite. Trop vite. Ses yeux fatigués entraient dans les miens. Il était pâle et avait maigri depuis la dernière fois. Mais je me suis retenu de lui dire. Il m’a encore parlé des mails. Il a allumé une deuxième cigarette. Il avait rabattu la capuche de son sweat sur sa tête. Un sweat bleu très sombre qui tirait sur le noir. Il m’a dit :Pourquoi prend-il ...
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