1. Claire


    Datte: 28/01/2019, Catégories: jeunes, campagne, nonéro, portrait, sorcelleri, historiqu,

    C’était un beau samedi de juin 1935, ensoleillé et chaud, quelque part dans la campagne auvergnate jouxtant les monts du Forez. Un après-midi qui s’étirait en langueur paresseuse, près d’une ferme isolée, blottie dans un vallon. L’heure de la sieste pour les salers qui ruminaient à l’ombre des châtaigniers et des noyers, paisibles, tout juste dérangées par un bourdon un peu trop pressé, ou le vol d’une alouette. Pourtant la vieille maison aussi assoupie que le bétail, sous son toit de tuiles fauves, semblait vibrer d’une agitation inhabituelle. Claquements de portes, voix qui tour à tour supplient et grondent, tourbillons de jupes, éclats de rire, cheveux blonds et bruns qui se poursuivent. Sur un coin de fourneau dans la cuisine, une lessive de draps terminait de bouillir. Les deux jeunes filles qui s’agitaient dans la cuisine, armées de torchons, empoignèrent chacune une anse du cuveau brûlant et le posèrent au sol pour le mettre à refroidir avant d’essorer le linge. L’heure était à l’orage, à l’affrontement. Et la jolie blonde, les yeux fixés sur son amie, dédaignant le visage fermé de celle-ci, insista : — Claire, je t’en prie, viens avec moi. Ne me laisse pas manquer la Saint-Jean !— Mais rien ne t’empêche d’y aller avec tes cousines !— Ces bêcheuses toujours en train de m’espionner dès que je passe une minute hors de leur champ de vision ? Merci bien ! Jolie soirée en perspective ! Claire sourit à cette remarque et répliqua : — Tu sais pourtant te tirer d’affaire à ...
    ... chaque fois qu’une corvée t’est confiée, si mes souvenirs sont bons ! Qui m’avait laissé un tombereau de vaisselle le soir du banquet de Saint-Éloi pour aller jeter des pétards chez la mère Rougier, il y a six ans? Qui a confié à sa grand-mère la réparation de la nappe d’autel de l’église pour aller faire un tour de charrette avec Juju l’an dernier ? Anita, voyons ! Nous savons toi et moi que si tu veux t’isoler, tu trouveras toujours un moyen de le faire, cousines ou pas. Vexée, son amie haussa les épaules. — Peut-être… Mais sans toi, la Saint-Jean n’est pas une vraie fête. Ça fait cinq ans que tu n’y viens plus. Cinq ans que nous n’avons plus fait les folles et que je traîne comme une âme en peine à ce bal. Claire serra les poings et son regard brun et velouté se détourna pour contenir l’émotion qui la submergeait. — Tu sais très bien pourquoi je n’y viens plus.— Écoute, tu ne vas pas porter le deuil de ton père toute ta vie ! Zut ! Assister à un bal n’est pas un crime ! Tu as droit à prendre du bon temps une fois dans l’année !— Je n’en ai pas envie. Surtout ce jour-là.— Parce qu’il s’est pendu durant les feux de la Saint-Jean ? Mais tu n’en es pas responsable !— Je sais, mais j’aurais peut-être pu empêcher son geste si j’étais restée à la maison. Et les vieux du village le croient aussi. Ils disent que je porte malheur, que je tiens ça de ma mère sorcière, que je finirai comme elle… J’ai pas envie de supporter leurs regards de dégoût, leur haine, leur mépris. Mon père les a ...
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