1. Le Maître


    Datte: 15/05/2019, Catégories: fh, fplusag, profélève, école, intermast, pénétratio, init,

    Vous avez dû redevenir poussière depuis belle lurette, mais dans mon esprit, vous rayonnez encore de l’éclat de votre quarantaine triomphante. Notre dernière entrevue remonte à l’année de mon bac. Vous enseigniez la philosophie au lycée. J’étais votre élève. Pour votre grâce un peu aristocratique, la fierté de vos seins narguant la gravité, l’élégance féline de votre démarche de velours et votre voix languissante, je faisais exploser ma note de participation orale qui stagnait d’ordinaire dans des profondeurs abyssales. Narcissique, vous l’étiez jusqu’au bout de vos talons aiguilles, mais vous disposiez d’arguments à la hauteur de vos prétentions. Votre éloquence, votre culture raffinée et vos propos sur la psychanalyse des rêves me transportaient quand vos collègues ne parvenaient pas à me faire décoller de leurs manuels indigestes. Dans ce lycée de matérialistes bornés, entre le crétinisme des mathématiques et le rigorisme des déclinaisons latines, vos trois heures de cours hebdomadaires représentaient un exutoire inespéré que j’attendais avec impatience. Quel bonheur de vous entendre à nouveau, Madame ! Votre gestuelle précieuse et votre bouche sensuelle accompagnaient votre argumentaire des plus envoûtantes manières. L’onctuosité de votre voix me submergeait. Vous m’évoquiez furieusement ces femmes de lettres, de Sévigné, Récamier, de Staël, et la salle de cours, ces salons mondains où l’on venait palabrer avant de s’entretenir de choses plus futiles au fond d’intimistes ...
    ... boudoirs. Lors des devoirs sur table, je dissertais avec passion dans le secret espoir de vous séduire par les mots. Je me plaçais parmi vos meilleurs élèves. La plupart des autres garçons snobaient le cours et me traitaient de fayot, ce dont je n’avais cure. Pendant que ces minables s’en allaient courir après leur baballe à l’intercours, je m’exerçais à la rhétorique en votre compagnie. Sous vos apparences un peu hautaines, vous n’aviez pas de dédain, Madame, pour celui qui venait discourir, à condition bien sûr d’y mettre les termes adéquats. Je polissais ma dialectique mais vous aviez toujours le dernier mot. Un changement d’intonation, un sourire de conclusion et vous me coupiez l’herbe sous les pieds. Impossible de relancer les débats d’aucunes façons, et à l’issue de nos Dialogues improvisés, en lieu et place du boudoir fantasmé, je devais me contenter d’une vulgaire pissotière pour apaiser mes penchants trop fervents. Et puis vint ce devoir au libellé providentiel : « Dans quelle mesure peut-on faire de l’audace un choix de vie ? » L’audace, quel mot magnifique ! À cette époque où je voulais encore changer le monde, l’audace me paraissait nécessaire à l’accomplissement de toute existence. Sans elle, l’humanité aurait végété dans l’obscurantisme. Bien sûr, bon nombre d’esprits audacieux s’étaient brûlé les ailes, mais le risque constituait le fondement même de l’audace, et j’appuyai mon propos d’une hardiesse fort démonstrative : l’aveu enflammé de ma passion pour vous. ...
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