1. La forêt


    Datte: 25/08/2019, Catégories: nonéro, aventure, fantastiqu,

    ... Comme si toute crainte avait disparu. Ils gémissent et ils sourient ! Les déments ! Les déments ! Je reprends ma course jusqu’à ce que le troupeau soit loin, bien loin de moi. Je m’éveille. Allongé. Autour de moi, de la fumée, du sang sur le sol, des plaintes sourdes et partout, partout, l’infâme odeur de la mort. Des cadavres gisent sur un sol humide, rougeoyant sous les cieux lourds. Qu’il pleuve, par pitié qu’il pleuve. Ma poitrine me fait mal, je dresse la tête. Un carreau traverse ma cotte de cuir, là, juste au-dessus du cœur. À côté de moi, à ma droite, gît le corps d’un cheval dont le cou est rompu, la tête complètement retournée. Ma main. Ma main gauche tient quelque chose, quelque chose de tiède. Mon regard remonte le long de mon bras déplié sur le torse d’un homme. Autour de sa gorge, ma paume serre fermement ce qui a été l’objet de ce soldat. La pierre aux reflets de sang s’est détachée de la chaîne à laquelle elle était reliée et a roulé de sa poitrine à ma main. Depuis combien de temps la tiens-je ainsi ? L’homme. Je connais le visage de l’homme. Son visage, ces quatre points en losange sur le front et ce rire sonore qui me revient en mémoire. Tu es donc resté là-bas. Cette drôle de réflexion me possède un long moment. Je me traîne maladroitement, pivote sur le côté et vomis. Un peu de sang sort de ma bouche. Mes yeux embués fixent les nuages noirs qui se sont amoncelés. Il y a quelque chose, un autre visage familier à mes côtés. ...
    ... L’homme est grand, une hallebarde a percé ses entrailles qui se répandent à flots courts et réguliers sur un autre cadavre traversé, lui, par l’épée courte du premier. Ils semblent se regarder, leurs yeux mêlés dans une même interrogation. Je les connais. J’étais avec eux au commencement de mon périple. Des bras me soulèvent d’un coup, j’entends des voix lourdes. — Il est vivant ! Qui sont-ils ? — Fouille-le ! On saisit ma main gauche. — Non, il est des nôtres, transportons-le là-bas, on y verra plus clair. On me porte, je les entends souffler comme des porcs. Non, c’est mon souffle. Nous enjambons des corps et encore des corps ; les pilleurs sont déjà à l’œuvre, fouillant les tuniques et les plastrons, tirant colliers et bagues, bourses et dents saines. — J’ai mal, parviens-je à articuler. Les deux rigolent. — Tu as eu une sacrée chance, la flèche s’est plantée juste à un poil du cœur. Prie l’Unique cette nuit, prie-le avec ferveur. On me pose sur le sol. — Un guérisseur va venir, ne t’inquiète pas, tu seras vite au combat. De là où je suis, je peux voir le champ de bataille et toutes ses couleurs qui se disputent la moindre parcelle de sol. Du sang et de l’herbe, de la terre et de la chair. Partout retentissent les éclats des cloches des rabatteurs, ces hommes qui recherchent les blessés parmi les amas de cadavres, la tête rougie du sang des trépassés. Quelqu’un quelque part lève une main. Comme un noyé dans l’océan. Et moi, je suis vivant. 
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