1. Théorème


    Datte: 30/12/2019, Catégories: h, Collègues / Travail volupté, cérébral, exercice, portrait,

    ... son gobelet vide et mou. Du bout des doigts… L’harmonie du geste était parfaite, rien n’y manquait. Il sentait s’accroître régulièrement le délicieux plaisir. La pression se faisait instinctivement légère lorsque, irrémédiablement, il se sentait franchir les limites du réflexe libérateur. Elle devenait savamment plus présente lorsque l’ondulation cadencée parvenait au zénith. Elle était précise et circonstanciée, naturelle et attendue, délicieuse et sophistiquée, audacieuse et déterminée. L’allure nonchalante à laquelle il était soumis avait fini par modeler un glorieux corps, d’une extraordinaire tenue, impétueux, gonflé par une irrésistible envie de croissance perpétuelle, irradiant une chaleur surnaturelle : dignement dressé, la tête haute, d’allure altière, le corps tendu par l’ivresse que cette agitation lui infligeait, l’entraînait vers un bouleversement consenti du réel. L’orateur posa sur l’écran son doigt près d’un carré vert pomme lumineux : « L’innovation qui émerge… » La sorcellerie du mouvement finit par extirper de la cime devenue pourpre, une goutte de fluide annonciateur… puis une autre et encore une autre. Le sublime liquide, suave et onctueux, qui à présent imbibait l’ensemble de la flèche ne faisait qu’aggraver l’insoutenable charme. Il n’en avait pas fini et pourtant, depuis de longues minutes, le discours tournait en rond. Fallait-il, ne fallait-il pas se lancer dans la phase complexe de la finalisation ? L’orateur s’enlisait. Il n’avait plus rien à ...
    ... proposer et seule la présence de l’assistance somnolente le contraignait à rester debout. Personne ne le regardait, tout le monde cherchait à travers une activité discrète, mais néanmoins prenante, à ignorer le ridicule de la situation. Beaucoup maintenant avaient fini leur café - terrible erreur de gestion du temps ! - et il leur fallait développer des astuces complémentaires. Lui, il griffonnait sur son « bloc », des arcs, des carrés, des volutes, des enroulements compliqués qui reliaient entre eux ces dessins sans signification. L’assistance était nerveuse et un geste maladroit lui fit reverser le triste contenu de son fond de tasse. Le liquide se répandit généreusement sur toute la surface. L’horloge électronique qui trônait au-dessus de l’orateur rythmait - elle aussi - le temps : une lumière rouge s’allumait chaque seconde comme pour signifier l’irréversible ruine vers laquelle on tendait. L’alliance du geste et du fluide se déclara sublime. Mais pouvait-il en être autrement ? Le mouvement irréprochable, insensiblement, s’achemina vers une cadence plus soutenue. L’infinie variation des successions de va-et-vient accentua les soupirs, le balancement du geste finit par mettre en mouvement l’ensemble du corps, qui se cabra – d’abord lentement, avec beaucoup de réserve -, puis s’agita sous l’effort du fidèle plaisir. Le sommet, détrempé de liqueur, écarlate, tentait d’entreprendre une vaine résistance à l’épreuve que lui infligeait la manœuvre vertueuse. Celle-ci, capricieuse et ...