Saint Matthieu et l'ange
Datte: 27/09/2020,
Catégories:
fh,
hplusag,
religion,
Collègues / Travail
revede,
pénétratio,
... tendance à se flanquer de prénoms plus saints les uns que les autres, comme autant de perles sur le fil d’un chapelet, comme si ça pouvait leur garantir davantage de vertu… Frère Pacôme, qui a le mérite d’avoir choisi la simplicité, a la peau tout autant parcheminée qu’un vieux bouquin et les yeux aussi noirs que le sous-sol des archives, qu’il arpente à longueur de journée en classant toujours de nouveaux ouvrages qu’il déterre on ne sait où. Enfin, frère Maxence, le plus proche de l’abbé, a la soixantaine dynamique et le crâne dégarni : c’est lui qui est chargé de toute la communication avec l’extérieur. Quant à l’abbé, il a un large bureau à l’étage, au-dessus des cuisines. Ses tempes grisonnantes, sa voix calme et son charisme sont tous trois à hauteur de sa fonction. Et puis, il y a tous les frères cloîtrés que je n’ai jamais vus. Ils sont un peu comme la face cachée de la Lune. —ooOoo— Avant que je parte en mission pour fouiner dans la paperasse de l’abbaye, mon ex, chercheur lui aussi, m’a jalousement prévenue : « Fais gaffe : il paraît que la moitié des moines, c’est des repris de justice. » Je ne me suis pas abstenue de lui faire remarquer l’étendue de sa connerie. J’y repense en mâchonnant mon filet de lieu un peu trop cuit. Frère Simon-Pierre balaie la cour. Avec son air affable et appliqué, on dirait plutôt qu’il caresse les aiguilles de pin dans le sens du poil. J’ai un sourire. Tout sent la lavande et la vieille pierre. Et le poisson. C’est vendredi. Les ...
... cigales ont cessé leur chant. C’est l’heure de leur pause, un peu après vingt heures. Les retraitants ont fini de dîner ; moi, j’ai encore travaillé trop tard sur mes publications. Je vais finir par faire du douze heures par jour. Tout coule à un rythme plus lent, ici. Tout est si feutré que ça pourrait en paraître ennuyeux. J’ai déjà songé à hurler un bon coup, pour voir ce que ça ferait. Pur fantasme. Frère Matthieu apparaît à ma droite, les mains croisées sur son scapulaire, le sourire aux lèvres. — Je vous ai posé votre café sur la table, dans la cour. Sa voix est posée, mais plus chantante que celle des autres. Il a une excuse : c’est lui, au monastère, qui fréquente le plus les gens de l’extérieur. Aussi peut-on lui pardonner d’être un peu plus joyeux et expansif que la moyenne de ses frères. Mais tout est relatif. Un instant, je suis tout de même surprise de son annonce : ça fait seulement quatre repas du soir que je prends ici, et il connaît déjà mes habitudes. — Merci, frère Matthieu, merci. Vous en prendrez bien un avec moi ? lancé-je sans réfléchir. Il a un sourire, sans paraître déstabilisé, là où frère Pacôme aurait avalé sa langue. Quand je me tourne de nouveau vers lui, il a disparu. Prenant place à une table en fer forgé devant mon café, j’allume une cigarette et tourne la tasse vers moi. Sur la sous-tasse, il y a un biscuit. Alors que je plisse les yeux pour tirer sur ma clope, frère Matthieu reparaît et vient s’asseoir sur ma gauche. Sa tunique paraît étonnamment ...