Ode à la robe d'un soir
Datte: 12/02/2019,
D’un coup d’œil en panoramique, elle survole la boutique, frôle les étagères, rase les rayons. Quelles couleurs, quelles matières, quels reflets arrêteront son regard ? Nonchalamment, elle déambule dans les allées, une main sur la courroie d’épaule de son petit sac de cuir souple, l’autre effleurant du bout des doigts les étoffes habillant les cintres. Le petit déplacement d’air occasionné par son passage et la caresse distraite de ses phalanges font osciller les vêtements dans un léger cliquetis de crochets qui s’entrechoquent. Attentive, professionnelle, la vendeuse jauge la visiteuse. Elle n’est pas dupe de ce détachement de façade, de cet air négligemment distrait et parfaitement simulé qu’affichent les belles et les moins belles lorsqu’elles évaluent en connaisseuses les trésors recelés par les rayons, recherchant la perle rare, le dessus craquant, le dessous affriolant ou l’éblouissante parure qui mettra en valeur leur envoûtante féminité. Celle-ci est semblable aux autres, mais si différente en même temps, car toutes les femmes se ressemblent sans être jamais pareilles. Sous l’ombre soyeuse des cils de la visiteuse, l’éclat de deux prunelles attentives atteste de l’intérêt porté aux merveilles qu’elle dissèque élégamment. Un iris pour la dentelle, un autre vers la professionnelle, rapidement, discrètement. Elle se sait observée, elle le voit, elle le sent, mais la vendeuse a le temps. Elle guette le moment où la visiteuse nonchalante se muera peu à peu en cliente ...
... exigeante, lorsque ses pas s’arrêteront le long d’un rayon, au chevet d’une robe ou d’un jupon. Elle attend l’instant où les doigts partiront en exploration à la recherche de l’étiquette accrochée à une manche ou un bouton, et que le froncement de sourcils, la moue désappointée ou le fier coup de menton lui indiqueront que le moment n’est pas venu encore de ferrer le poisson, ou qu’au contraire une attention accrue ou un mouvement pour dépendre le vêtement seront un appel inconscient à son aimable et discrète intervention. Et soudain elle est là, la robe, la belle, celle à laquelle elle ne rêvait même pas. Elle est là, et puis l’autre à côté, et cette troisième encore, quelle joie, quel plaisir d’éprouver l’ivresse et l’embarras du choix ! La vendeuse est là elle aussi, attentive, attentionnée, aimable, prête à vanter, à flatter, à suggérer et conseiller, commençant son approche par le traditionnel « Je peux vous aider ? ». La cliente n’écoute pas. Elle entend seulement, sourit énigmatiquement et examine le vêtement qu’elle vient de dépendre d’un lent mouvement, le tenant devant elle suspendu à son cintre, le contemplant sous l’éclairage brillant des spots orientés savamment. Ses deux mains s’activent, les doigts palpent l’étoffe, glissent le long d’un ourlet, soulèvent et apprécient. Ses yeux évaluent la coupe, la confection, et ce label qui oscille doucement, provocateur, avec ses chiffres insolents. Ses paupières se baissent, elle imagine déjà le vêtement sur elle. Elle sent ...