1. Natasha & Franck (17)


    Datte: 16/03/2019, Catégories: Transexuels

    Dix ans auparavant. La journée s’annonçait meilleure qu’elle n’avait commencé. Le jour s’était levé brouillasseux, tel un tripot à la fermeture, puis au fur et à mesure que l’astre du jour grimpait dans le firmament, le linceul d’ouate grisâtre se déchirait, s’effilait comme l’aligot qu’une épaisse cuillère en bois étirerait. La cérémonie à l’église avait bien sûr conforté son jugement sur la religion. Il avait même songé à s’éclipser et attendre la fin dehors, mais ses parents se seraient empressés de lui faire maints reproches qu’il n’avait aucunement envie d’entendre. Si seulement une idée, une pensée décalée lui traversait l’esprit... cela l’occuperait un moment. Il tourna la tête à la manière d’un oiseau perché sur sa branche, cherchant du regard quelque chose, un détail, un visage qui pourrait retenir son attention, lui faire gagner des secondes, des minutes. Il laissa d’abord ses yeux traîner le long du câble d’un haut-parleur nasillard dans lequel s’égosillait le prêtre. Il tenta bien d’écouter mais les grésillements le découragèrent et il perdit le fil conducteur des saintes paroles. Puis il parcourut d’un œil distrait les tableaux inexpressifs du chemin de croix, sourit en apercevant le visage hirsute d’une grand-mère dont les tremblements n’avaient pas l’émotion pour unique source. Un rang devant, une femme plus jeune – peut-être sa fille – arborait une coiffure depuis longtemps démodée. Ses moustaches et son casque de cheveux lui donnaient un air de guerrier ...
    ... gaulois. Il se retint d’éclater de rire, mais cette pensée éclaira son visage d’un franc sourire. Pourquoi était-il pris d’une irrésistible envie de rire chaque fois qu’il se trouvait dans une église ? Mariages comme enterrements, tout cela sonnait si faux. Au bout du banc, un sexagénaire au visage rougeoyant se curait le nez, son ventre démesurément pointé vers l’avant. Lui aussi passait le temps comme il le pouvait. Se tournant de l’autre côté, il aperçut un deuxième sexagénaire dont les cheveux peignés vers l’avant et coupés court sur la nuque lui conféraient un air de soldat romain de l’époque antique. Il repensa à "la gauloise" et se demanda s’ils se battraient avant la fin de la journée, pour respecter la logique historique. À sa droite, un garçon aux cheveux longs, à qui il donna une vingtaine d’années, semblait être fan de hard-rock : son tee-shirt affichait fièrement son intérêt pour Iron Maiden. Il irait discuter avec lui après la cérémonie. Ils avaient des chances de bien s’entendre ; à deux, il serait plus aisé de faire front à l’insipidité musicale inhérente à tout mariage qui se respecte. Satisfait de se deviner un allié, il tourna un peu plus la tête, glissa encore un regard rapide sur l’assemblée, mais, alors qu’il allait rediriger son attention sur ce qui se passait devant lui, il se ravisa. Une infime fraction de seconde avait suffit. Un visage à demi masqué, à peine entr’aperçu dans la pénombre, lui dévoilait maintenant tout son éclat ; « magnétique », c’était ...
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