1. Les sentinelles


    Datte: 19/03/2019,

    ... Docteur, Docteur, Docteur. Qu’ils aillent tous se faire foutre. Elle les trouve, dans cette débauche de paroles, avilissants et idiots. Les heures tournent, le cadran s’affole, les aiguilles en proie à une soudaine tension. C’est cette pièce, cette foutue pièce, pense Christine en se levant, agacée. Dans la petite pièce qui sert de débarras, elle ouvre une armoire. Les battants enchâssés de deux glaces sales grincent, dévoilant une rangée de robes noires identiques. Cela pourrait ressembler à la sienne, à sa tenue professionnelle, mais elles sont bien différentes en vérité. Plus courtes, plus légères, bien plus échancrées. Elle sent des picotements dans son ventre tandis qu’elle retire ses vêtements. Tous. Nue, elle se regarde dans les deux miroirs. Vite. Encore. Vite. Encore. Elle a ce genre de corps que le temps commence à rendre lourd, juste un peu, juste de quoi galvaniser les courbes et les reliefs. Elle passe une robe, apprécie le contact de la soie, tente de s’équilibrer sur ses talons hauts. Remue ses cheveux, passe un mince maquillage sur ses lèvres et sur ses joues. Avale deux cachets blancs. Se détend un peu. Il ne pleut plus dehors, mais un vent froid et humide glisse dans les rues.Une nuit sans lune, songe Christine en observant les masses denses de nuages qui dévorent la cime des gratte-ciels. Et cette grande tour sombre surmontée des lettres rouges sang là-bas dans le cœur du quartier d’affaires, c’est effrayant. Ses talons résonnent sur le trottoir. Il y a du ...
    ... danger dans cet écho. C’est un signal. Quelque chose que les détraqués peuvent percevoir. Qui ne l’est pas ? Tu ne l’es pas ? Tu penses que tu n’es pas folle ? Comme tous les autres ? Ils se servent de toi.Ils mangent ton cerveau. Les ruelles s’enchaînent. Des enseignes lumineuses bleues, roses ou rouges. Devant la porte close du club, Christine reste un court moment hésitante. Puis frappe trois coups secs et deux coups longs et encore quatre coups secs. Un œil s’incruste à l’intérieur d’un judas rectangulaire et lumineux. Puis la porte s’ouvre sur un couloir qu’un rouge sombre fait ressembler à un intestin enveloppant. Elle suit l’homme. Costume noir, cheveux rasés. Grand. Passe devant des salons. Bleu, parme, pourpre, vert. Vient s’installer dans un fauteuil en cuir près du bar. On lui apporte un verre de scotch. Elle picore deux olives. Il y a du monde ce soir. Cette nuit. La plupart portent des loups satinés et colorés. Des hommes et des femmes, presque égaux en nombre, errent lentement au gré d’une musique baroque. Tout ici semble soumis à une gravité plus conséquente. Qui ralentit les pas / Qui alanguit les sourires. Deux hommes la regardent. Elle ne porte pas de masque, pas de camouflage. Elle n’a pas peur de ce qu’elle est. L’un hoche la tête dans sa direction. Mais elle détourne le regard. Pas encore, pas avant un deuxième verre. Et quelques olives. Tout ici respire l’argent : les montres au poignet des hommes, les robes vaporeuses des femmes, les dessous glorifiant ...