Aïcha, ou les exils
Datte: 12/09/2019,
Catégories:
fh,
ff,
hotel,
anniversai,
amour,
confession,
historique,
... Kadour effaçait une journée de merde en me hissant au paradis. o-o-O-o-o J’envahis sa soupente, me mis en recherche d’un emploi et nous entreprîmes les démarches obligatoires en vue de nous marier. Côté boulot ce fut galère ! Heureusement, je réussis très vite le concours d’aide-soignante qui me valut une brève formation payée. Kadour qui connaissait les techniques du stucage trouva un complément d’emploi chez un plâtrier en tant que staffeur. Bref, sans rouler sur l’or nous vivions correctement, abreuvés abondamment d’amour et d’eau fraîche. Côté mariage ce fut galère ! Je ne relaterai pas les difficultés auxquelles on se heurtait en 1962 pour réunir les papiers nécessaires à des épousailles lorsqu’on était née à Constantine. Six mois plus tard, j’exerçais mon métier, nous étions mariés et bénéficiions d’un logement social à la périphérie de Montpellier. La banlieue, à cette époque, n’était pas l’enfer qu’elle est devenue depuis et ces habitations offraient un confort supérieur à celui de nombre de vieilles maisons du centre-ville. Certes les cloisons y étaient en papier, mais nous y disposions d’une salle de bain, luxe rare. Notre petit immeuble construit avant la folie des grandes barres ne regroupait que huit appartements et composait un kaléidoscope sinon du monde au moins de l’ex-empire colonial français. Quand nous nous y installâmes, il rassemblait outre deux familles françaises, une de harki et nous-mêmes apparentés par la carte d’identité, une lignée tamoule de ...
... Pondichéry, un ménage de Malgaches, un couple d’Italiens et une jeune Polonaise abandonnée par son mari. En quarante-quatre années passées là-bas, j’y vis ensuite aussi défiler des Tonkinois et des Djiboutiens, des Guinéens et jusqu’à des Kanaks. À force d’internationalité, il ne serait venu à l’idée de personne de se prévaloir de ses origines et, pour la plupart, nous ne connaissions que trop les artefacts de notre citoyenneté. J’avouerais volontiers qu’au cours de ma vie cet espace restreint comprimé entre ces quatre modestes bâtisses fut celui où j’eus le moins le sentiment de vivre exilée. Dès que je le quittais, je franchissais une invisible frontière qui m’introduisait en France. Il y régnait, au moment de notre arrivée, beaucoup de convivialité basée sur une solide entraide mutuelle. C’était un fécond et joyeux creuset que même les Français pure souche appréciaient. Combien de fois avons-nous transformé la cage d’escalier en hall de conférences échangeant dans la bonne humeur, tous paliers confondus, des nouvelles de nos enfants ou des recettes de cuisine, que chacune assaisonnait à son sel, qui d’anis, de piment, de vanille, de safran ou de cumin. Et notre jacassante communauté alors de s’enflammer évoquant les cieux noirs chargés de mousson, les rigueurs blanches de l’hiver, l’émeraude des oasis, les terres écarlates de l’île ou la floraison rose des fruitiers. Nous troquions tout : des livres et des revues, les outils les plus divers, de menus services et travaux, des ...