Les Veilleurs (2)
Datte: 08/06/2021,
Catégories:
Hétéro
La tempête annoncée n’avait pas encore atteint la côte, mais déjà le vent soufflait en bourrasques violentes. Les rues étaient presque vides. Il croisa un homme pressé de retourner chez lui ; il se protégeait sous une casquette américaine et se mit à courir lorsque celle-ci s’envola, emportée dans les airs alors qu’il débouchait sur la grande artère qui menait au littoral. Le macadam, luisant de pluie, se parait de maintes couleurs : des enseignes variées aux feux tricolores, toutes les teintes s’étaient donné rendez-vous sur le sol pour y peindre des œuvres abstraites et éphémères. Les goélands volaient comme des crabes, sur le côté. La pluie ne tombait encore que par averses et les gouttes restaient pour l’instant fines. Le vent transportait les effluves mélangés d’iode, de varech et de gasoil, typique du port. Il adorait ces odeurs et l’ambiance des embarquements, où chacun connaissait parfaitement sa partition dans cette minutieuse chorégraphie qui pouvait, au premier abord, sembler désordonnée. Il apercevait les lumières d’un ferry à quai, comme assigné à résidence : les départs de la nuit entière avaient été annulés. Les voyageurs ayant réservé une cabine pour la traversée avaient la possibilité de monter à bord et d’y passer la nuit, puisqu’ils étaient contraints à l’attente d’une météo plus clémente. Le navire était aussi haut que les immeubles du front de mer, mais, même à quai, il devait sacrément remuer. Son boulot consistait à faire d’interminables allers et ...
... retours entre l’antre du bateau et le quai. Il garait dans le ventre du monstre de métal les remorques des camions, les répartissait en veillant à équilibrer le poids tout en gagnant le plus de place possible. Un véritable Tétris grandeur nature. Mais cette nuit, il ne ferait certainement rien de tout ça. Il allait cependant au boulot pour se voir confirmer qu’il pourrait retourner chez lui assez rapidement. La seule incertitude concernait la durée de ce repos exceptionnel. Le rappellerait-on au cours de la nuit, une fois la tempête passée, ou pouvait-il d’ores et déjà considérer sa nuit de travail comme terminée ? Pour l’instant, la seule consigne était d’attendre. Les spécialistes étudiaient le trajet de la tempête et élaboraient les scénarios les plus probables. On l’invita à aller jusqu’à la cafétéria avec les autres collègues. Qu’il en profite pour manger ou boire un café; on en saurait peut-être plus dans moins d’une heure. Il sortit, entendit la musique de ce ballet pourtant à l’arrêt : les grésillements des talkies-walkies, le grincement des rampes de métal, le bruit des moteurs des quelques véhicules qui roulaient sur les quais, se faufilant entre les hangars, et puis le vent, omniprésent, qui hurlait sa complainte. Et tout autour, il y avait cette eau noire, dont seuls quelques reflets électriques parvenaient à évoquer la masse ; cette masse obscure, quasi invisible, promettant d’engloutir tout ce qu’elle pourrait happer. Au loin, on distinguait la digue de rochers qui ...