Du côté de chez Karen - Histoires de Sexe

Du côté de chez Karen

Travis a trente ans aujourd’hui. Vive lui. Il s’est levé à 10h30, avec une petite gueule de bois consécutive à la demi-douzaine de whiskys descendus dans la nuit. Pour se donner bonne conscience, il se dit que c’était de la dégustation, étant donné qu’il avait pris six verres de six marques différentes. Il préfère également ne pas comptabiliser le Martini et les deux bières de l’apéro… Et puis, au diable les conventions ! Il ne boit pas régulièrement… Quoique… De toutes façons, quand on aime, on ne compte pas ! Quand on aime… Et voilà ! Le sujet qui fâche effleure son esprit. Pour chasser cette pensée, il se prépare du café, rassemble la vaisselle éparpillée dans le salon pour l’entasser dans l’évier. Puis, poursuivant ce louable effort, il commence à laver pendant que la cafetière éructe. Il faudrait faire un détartrage, pense-t-il. Et aussi dégivrer le frigo, changer le filtre de la hotte… "Pfff, j’aurais bien besoin d’une femme !" Cette pensée de vieux macho l’amuse tout d’abord, mais il ne reste pas dupe très longtemps. Non, une femme, ce ne serait pas nécessaire… C’est juste indispensable. Mais quel genre de femme ? Et pour quoi faire ? Cette "fausse question" lui fait venir des images assez crues en tête, mais il balaye rapidement ces visions. Le sexe. Ouais, c’est pas mal, mais ça tourne vite en rond… Après avoir rempli un mug de café, il se pose devant la table du salon et attaque les restes d’un paquet de cigarettes russes, derniers vestiges comestibles ...

... accompagnant la glace à la pistache d’hier soir… Puis, reprenant le fil de ses pensées, il songe : "Trente ans de vie. Dix ans de sexe… Et tout ça pour quoi ?" Eh oui, dix ans "seulement", car son dépucelage avait été tardif. Enfin, si on en croit les magazines et les sondages - ces enquêtes qui n’intéressent personne mais qu’on écoute quand même furtivement - l’âgenormal du premier rapport se situe vers dix-sept ans.Normal… Cette notion faisait horreur à Travis. Cela lui rappelait trop sa condition d’individu lambda, échantillon ponctuel contribuant à la vérité statistique d’un macro système. Non, Travis se voulait unique. Unique et spécial. Comme sa première fois. C’était à "l’Ecole". Cette usine à fabriquer des cadres à formation scientifique. Deux tiers de mecs, un tiers de nanas. "J’aurais dû faire Lettres", s’était-il souvent dit. Vingt ans, "le plus bel âge de la vie"…. Mouais, à l’époque, il souhaitait ardemment être plus vieux et, surtout, atteindre le moment où le sexe lui aurait dévoilé ses mystères. Dans sa bande de copains, il y avait peu de mecs "en couple". Et ceux-là rentraient retrouver leur dulcinée le week-end. Sur le campus, à "l’Ecole", les filles se partageaient en trois catégories. Les "Bof, bof, tu es sûr qu’on la compte comme une fille ?" C’était le gros des troupes. Les "Inaccessibles", genre "elle a déjà un copain et de toute façon c’est pas toi le prochain". Et au milieu, les filles "Avec quelque chose", mais si éloignées des égéries de papier glacé qu’on ne ...