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La Tour d'Ivoire
Datte: 12/12/2017, Catégories: nonéro, policier,
... trouvait être la dernière) dans le même silence. Une photo. Elle représentait un pont en pierres mal jointes, au-dessus d’une rivière un peu boueuse. L’ensemble était perdu au milieu d’une forêt. Les arbres avaient des feuilles jaunes et rousses ; sans doute l’automne. Sentant le regard de Tomaze sur lui, il releva les yeux : — Oui, ce sont de bons clichés, de très belles esquisses, et de magnifiques aquarelles, dit-il, comme en réponse à la question muette de Tomaze. Mais que veux-tu en faire ? Il lança négligemment la photo sur le bureau, croisa les bras sur sa poitrine et fixa longuement son écrivain préféré. — Un livre, répondit ce dernier, d’une voix neutre.— Un livre ? tu n’as jamais fait ça, auparavant. Qui est l’artiste ?— C’est une jeune femme de vingt-quatre ans.— Et… ?— Elle s’appelle Liana. Pendant un très long moment, ils n’échangèrent pas une parole. Puis Julien se leva d’un bond leste et s’approcha de Tomaze pour le regarder droit dans les yeux : — Ne me dis pas que tu as craqué, fit-il avec calme. L’écrivain se sentit assez troublé ; il se tourna à nouveau vers la vitre, et laissa ses yeux se perdre sur l’immensité des toits ardoisés, brillants sous la pluie continue et chaude. — Craqué ? répéta-il d’une voix faussement nonchalante.— On dirait bien que si, grimaça Julien. Puis il passa une main excédée dans ses cheveux roux, qu’il portait très courts. — La dernière s’appelait comment déjà ? Magalie ?— Ne sois pas stupide, coupa Tomaze. Magalie n’a rien à voir ...
... avec Liana.— Alors pourquoi est-ce que tes yeux brillent de la même flamme ?— Je ne te savais pas poète.— Tu ne sais pas grand chose sur moi. Tomaze haussa les épaules. — Je sais ce que j’ai à savoir.— Exactement ! Dis-moi, elle est agréable à regarder au moins ?— Julien… commença Tomaze dans un grognement. Puis il respira un grand coup, avant de reprendre, d’un ton plus posé : — Je ne sais pas si elle est jolie, je n’y ai jamais fait attention. Elle m’a demandé d’écrire un livre sur ses illustrations, c’est tout. Tu es mon éditeur et mon ami, je te soumets donc le projet.— Hum… Et elle est où, cette fameuse Liana ?— Quelle question ! s’étonna Tomaze avec un nouvel haussement d’épaules flegmatique. Chez elle, évidemment.— La chose est inhabituelle. Je ne sais pas si on fait bien de s’investir là-dedans. Julien retourna s’asseoir et jeta un regard pensif sur les clichés qui jonchaient son bureau. — Pourquoi ? demanda Tomaze d’une voix tendue.— Tiens ! Parce que j’ignore si ça va me rapporter de l’argent, ton histoire. Si tu écris ce livre, ce ne sera pas une histoire vraie… il faudra ajouter les illustrations, et la couleur, ça coûte la peau des fesses. Les conséquences d’un tel projet sont trop fumeuses. Soit ça passe, soit ça casse. Et si ça casse…— Oui, je sais. C’est risqué. Je le lui ai déjà dit. Nouveau silence. Julien dévisageait son ami avec suspicion. — Qu’est-ce qui t’arrive, Tomaze ? Tu as fini par sortir de ta tour d’ivoire ? Tu n’aurais jamais eu l’idée d’accepter ...