Vraimodo
Datte: 01/08/2018,
Catégories:
fh,
amour,
... tire-bouchon. Allons nous asseoir. Elle sort rapidement deux verres, et nous nous retrouvons dans les fauteuils. — Parlez-moi de vous, me dit-elle pendant que je débouche la bouteille.— Je n’aime pas parler de moi.— Parlez-moi de ce que vous faites, alors.— Je ramasse les poubelles. Intéressant, non ? Yolande rit doucement. — Vous dites que vous ramassez les poubelles, mais sans cela je ne l’aurais pas deviné. Parlez-vous en rue comme vous le faites maintenant ?— Non. Je m’adapte, je suppose. Je n’ai pas fait de longues études, je n’ai pas de diplômes valorisants, mais je lis beaucoup. C’est ma manière d’oublier que je vis seul.— En fait, j’aime bien vous entendre parler. Alors, parlez-moi. J’aime votre timbre vocal, et j’aime aussi votre façon de parler.— C’est bien la première fois que quelqu’un aime quelque chose chez moi !— Ne soyez pas amer, Gaston.— Ce n’est pas de l’amertume. C’est du réalisme. Vous ne pouvez pas vous en rendre compte, parce que vous ne me voyez pas. Vous ne pouvez pas comprendre ma douleur.— Vous le croyez ?— Le regard des autres sur vous peut être terrible. Les mots ne sont rien, parfois, comparés à un seul regard. Sans rien me dire, les autres me font comprendre à quel point je suis laid, à quel point ils me détestent sans que je leur aie rien fait ; et ceux qui ne me détestent pas me prennent en pitié. Si je tendais la sébile, peut-être y jetteraient-ils un peu de monnaie. Vous ne pouvez pas comprendre, parce que vous ignorez la laideur.— C’est ...
... vrai. J’ignore une certaine forme de laideur, par la force des choses. J’ignore beaucoup de choses. Mais ne croyez pas que laideur et beauté soient des notions inaccessibles pour moi. Elles ne le sont que dans la forme qui vous est familière, mais d’autres formes de beauté ne me sont pas étrangères. Je vous ai parlé de votre voix, que je trouve belle, et je ne vous ai même pas entendu chanter !— Il vaut mieux ne pas vous y risquer.— N’ajoutez pas la mauvaise foi à l’amertume, Gaston. Et puisque vous avez fini de remplir les verres, donnez-moi le mien et trinquons aux beautés invisibles. Plus rien ne m’étonne sur sa perception des choses, des mouvements, des bruits. Le glouglou du liquide, la bouteille posée sur la table, ont suffi à la renseigner. Je lui prends la main, lui glisse le verre entre les doigts. Sa main est douce, mais vive, comme si elle possédait des antennes à chaque doigt. Le moindre objet familier doit être identifié d’un simple effleurement, et saisi de manière adéquate sans une hésitation. — À votre santé, Gaston.— À la vôtre, Yolande. Le vin est délicieux. Je le lui dis, et elle me remercie, puis nous buvons à nouveau. — Vous vous rendez souvent à des concerts ?— Jamais, dis-je sans hésiter.— Vraiment ?— C’était la première fois, quand je suis allé vous écouter au foyer culturel. J’avais vu l’affiche, et ça m’a intrigué, alors je m’y suis rendu. Votre musique était vraiment très belle. Yolande sourit. — Très belle ? L’avez-vous vue se répandre dans l’air ?— ...