La nouvelle année
Datte: 30/03/2019,
Catégories:
nonéro,
portrait,
... trop promptes à le désarçonner, et il veillait sur la sécurité du groupe lors des sorties. Il était celui qui ne boit pas et qui conduit. Un soir de beuverie particulièrement arrosée justement, ils se retrouvèrent chez Jacques qui annonça brusquement : — On tourne en rond, les gars ! Le temps passe et nous végétons. Nous devrions faire quelque chose ! Le silence se fit. Fabrice regarda Jacques en rigolant. — Attention ! Tous aux abris ! Décollage imminent ! Personne ne fit attention à lui. Jacques poursuivit : — Je me disais que nous faisions toujours les mêmes choses. Sortir en boîte, picoler, discuter… Nous répétons toujours les mêmes histoires, nous additionnons sans cesse les mêmes conneries. Personnellement, j’en ai un peu marre. Je voudrais bien passer à autre chose.— À quoi ? demanda Hervé, pour une fois, non accompagné d’une fille.— Oh ! Quelque chose d’assez simple. Par exemple on pourrait rester un certain temps sans se voir. Interdiction absolue de se voir et de se parler pendant une période convenue.— C’est idiot, ton truc ! dit Hervé. Pourquoi ferions-nous une chose pareille ?— Je ne sais pas. C’est une idée, comme ça. Elle m’est venue quand j’ai lu, hier, un aphorisme de Saint-John Perse : « L’inertie seule est menaçante. Poète est celui-là qui rompt avec l’accoutumance ». J’ai pensé à nous, à notre vie, ça m’a foutu le bourdon, et voilà.— L’accoutumance a du bon, mec ! rétorqua Fabrice. Personnellement, je l’apprécie beaucoup. Tiens, ressers-moi donc à boire ! ...
... Et il baissa promptement la tête, évitant la baffe qui n’allait pas manquer d’arriver à sa droite ou à sa gauche. — Qu’en penses-tu Matthieu ? demanda Jacques.— Rien.— Et toi, Hervé ?— « Poète est celui qui rompt ». Ça veut dire quoi, au juste ?— Ça veut dire que l’immobilisme engendre la paresse. Que la paresse engendre le sommeil. Que le sommeil favorise le développement de l’embonpoint et que, pour finir, on s’éteint doucement devant sa télé. On devient un ruminant ennuyeux ! Le poète, enfin celui qu’évoque Saint-John Perse, s’il veut demeurer inventif, alerte, vivant, s’il veut agrandir sans cesse son champ d’expérience et de connaissance, s’il veut continuer à rester ouvert au monde, doit rompre, dès qu’il sent venir la monotonie, l’habitude, dès qu’il sent l’accoutumance s’installer.— Et tu crois vraiment que nous, on s’endort ?— Il y a maintes façons de s’endormir. Ce n’est pas parce qu’on sort, qu’on s’amuse, que l’on reste éveillé que l’on est bien vivant. On s’endort dès que l’on commence à trop se répéter. Que l’on reproduit les mêmes comportements. Je ne crois rien, en ce qui nous concerne. Je me pose la question, c’est tout. Et je vous en parle. Ce dont je suis sûr, c’est que celui qui s’endort ne s’en aperçoit pas. Le sommeil le gagne, insidieusement. Et des hommes qui dorment, j’en connais un paquet. Je ne voudrais pas en faire partie. C’est ce que j’ai voulu dire.— C’est toi qui nous endors, Jacques, intervint Fabrice. Là, je sens vraiment le sommeil me gagner ...