Aïcha, ou les exils
Datte: 12/09/2019,
Catégories:
fh,
ff,
hotel,
anniversai,
amour,
confession,
historique,
... s’enfuirent lâchement. Ils avaient entravé les poignets des jeunes femmes avec de la bande adhésive et voulaient les bâillonner de la même manière. Ils prétendaient les initier aux vrais plaisirs de l’amour, dispensés par de vraies queues pour atteindre à une vraie jouissance. J’étais aussi atterrée par cette intrusion que fière de mon homme. Celui-ci avait toujours bénéficié d’un authentique prestige dans la cité, lié d’une part à une ébauche de réussite sociale qui ne nous avait cependant pas poussés à déserter les lieux, d’autre part, au fait de n’avoir jamais baissé les yeux face à eux, tout en évitant les provocations. Les filles, le soir même, se réfugièrent dans un hôtel du centre-ville. Une page qui s’était ouverte dans l’allégresse avait manqué tourner à la tragédie et s’achevait pitoyablement. Cet incident nous fit prendre conscience des transformations de notre environnement. Petit à petit, sans seulement que nous nous en apercevions, nous avions intégré des règles de prudence : ne pas porter de bijoux, de vêtements trop voyants ou de somme en liquide de quelque importance, éviter de passer près de certains points névralgiques… À partir de cette époque, le naufrage s’accéléra. Les générations précédentes s’étaient senties responsables, responsables de leur malheur et de leur misère, responsables d’avoir fui l’Algérie, le Tonkin ou la Guinée. Lors de cette fuite, dans leur maigre bagage elles avaient emporté la malédiction de l’exil. La France les avait accueillis, ...
... dans des clapiers certes, mais ils y avaient trouvé refuge. Leur progéniture ne partageait ni cette culpabilité ni cette reconnaissance à assumer, et la jeunesse actuelle vivait l’absence de perspectives comme une formidable injustice. Elle n’était pas chez elle ici et ne le serait nulle part. L’ascenseur social qu’avait pu constituer l’école de la république s’était déjà largement enrayé quand il ne se déclarait pas franchement en panne. Tous ces rejetons se drapaient avec complaisance dans une victimisation qui les confortait dans leur oisiveté et leur interdisait trop souvent la recherche laborieuse d’une solution. Le désœuvrement se fit gangrène et la cité dès lors se délita, versa dans la suspicion et la susceptibilité généralisée. Même les gamins ne respectaient plus leur cadre de vie qu’ils s’employaient à dégrader, ils ne respectaient pas leurs semblables, objet des plus fantasmagoriques jalousies et ne se respectaient pas eux-mêmes. Conscients, d’une certaine manière de leur incurie, partout, tout le temps, ils hurlaient à l’irrespect. Les valeurs s’inversaient, l’insolence, la grossièreté et la brutalité établissaient leur domination. Évidemment s’y adjoignit l’argent facile, enfin, en apparence, celui de la drogue qui allumait les guerres de clans, créait d’illusoires territoires, alimentait mille trafics minables. Un fossé s’était creusé entre des zones de la ville qui entretenaient les unes envers les autres une haine réciproque. La seule passerelle reliant ces ...