Aïcha, ou les exils
Datte: 12/09/2019,
Catégories:
fh,
ff,
hotel,
anniversai,
amour,
confession,
historique,
... univers était le chemin de la came qui nous amenait de braves bourgeois, lesquels vitupéreraient demain contre ces repaires de bandits et ces zones de non-droit. Pour les raisons antérieurement évoquées, nous jouissions d’un statut très particulier. Nous bénéficions de la mansuétude due aux ancêtres un peu fossiles. Pas plus que Kadour, je n’avais fait profil bas face aux grotesques malfrats qui s’agitaient autour de nous et pourtant nous nous étions terriblement aveuglés. Longtemps ils m’appelèrent l’aïeule. Il y eut d’abord un fond de considération dans ce sobriquet, toutefois, progressivement il s’empreignit de mépris. Bien sûr, on me reprocha de ne pas porter le voile. J’eus beau expliquer que je n’étais pas plus Algérienne que musulmane, rien n’y fit. Je suppose qu’ils voulaient surtout marquer leur cheptel féminin. Bientôt nous vécûmes en exil dans un monde d’exilés. Les dernières années furent insupportables. Les enfants renoncèrent à nous visiter, nos petits-enfants ayant déclaré « On aime beaucoup papy et mamy, mais on ne veut plus aller chez eux parce que ça craint. » Ce fut dès lors nous qui nous rendîmes chez eux. Le tiers-monde s’était établi à notre porte et la joyeuse cage d’escalier d’autrefois convertie en terrain de disputes et de vociférations. Il nous fallut cependant encore quinze ans d’atermoiements avant que nous prenions notre retraite et notre décision. Plus tôt, une nouvelle fuite aurait été inconcevable. Cent fois nous l’envisageâmes, mais pour ...
... aller où ? Nous savions néanmoins que nous ne pouvions être plus mal qu’ici ! o-o-O-o-o Il y a cinq mois nous avons porté dans une terre où on ne la retournera pas, Fara, victime d’un horrible crabe. Son époux vient de se décider à rejoindre Madagascar ; nous sommes donc les ultimes rescapés et nous nous déterminons à notre tour à l’expatriation. Nous vendrons ce que nous avons et rentrerons à Constantine. De quels fallacieux espoirs nous bercerons-nous en revenant ainsi ? Nous sommes, je le crois, sans illusion. Rien ne s’annonce facile, les tracasseries administratives commencent dès la demande des visas. Heureusement que Kadour est né en France et que sa famille ne comporte aucun harki. Nous rejoindrons le cimetière des éléphants qui n’est pas une terre où l’on est chez soi et que l’on s’approprie, mais celle qui s’arrogera nos dépouilles lors du dernier exil. Nul ne nous y retournera et nous connaîtrons peut-être cette impression étrange d’occuper enfin un lieu dont l’on ne nous chassera pas. Nos désirs sont tout simples : retrouver les effluves du pays, l’accablant soleil brûlant sur nos peaux flétries, les lumières du couchant filtrant au travers le large éventail des palmiers, bref la palette complète des sensations d’antan. Nous achèterons une petite propriété, nul besoin qu’elle soit importante, pourvu qu’elle comporte une terrasse et qu’on y puisse correctement accueillir Bertrand, Claire et leurs familles. o-o-O-o-o Il est onze heures à Marseille quand nous embarquons ...