1. Soir de novembre


    Datte: 18/02/2020, Catégories: Première fois

    Novembre. S'il est un mois moche dans l'année, c'est bien celui-là. Si on décidait de le radier du calendrier, je n'aurais qu'un regret : je ne pourrais plus célébrer l'anniversaire de la perte de ma virginité. « Perte » de la virginité. Quel mot inapproprié! Dit-on qu'on perd quelque chose quand on cherche par tous les moyens à s'en débarrasser? Peut-on s'imaginer qu'un mec comme moi, à 16 printemps, ne cherchait pas avec acharnement à se défaire de cet affligeant pucelage? Un soir de novembre. Je rentre d'une rencontre d'information au collège que je compte fréquenter l'année suivante. Il est 20 heures, peut-être. Une pluie lancinante couvre la ville — depuis une éternité, il me semble. Je me suis bien muni d'un parapluie et ai bien revêtu un ciré. Mais rien n'y fait : je suis trempé. Par intervalles, une bourrasque de vent pousse la pluie horizontalement. Les quelques gouttes dont me protège mon parapluie, ainsi balayées, finissent par aboutir sur mon pantalon ou se fraient un chemin sous mon col, dans mes manches. Il fait à peine deux ou trois degrés. Je suis transi. Je marche depuis une quinzaine de minutes; je suis donc à mi-chemin de la maison. Mais pas seulement à moitié transi. Je vois bien cette voiture tourner à l'angle de la rue de laquelle j'approche. Elle se gare le long du trottoir sur lequel je marche. Bof. Une personne qui a de la chance d'être au sec et au chaud. Je n'y pense plus. J'arrive à cette voiture quand je vois descendre la glace du côté du ...
    ... passager. Une voix féminine se fait entendre. « Ne reste pas dehors par ce temps : tu vas attraper ton coup de mort. Monte. Je te fais faire un bout de chemin. » Règle de survie : ne jamais monter en voiture avec des étrangers. Mais bon sang. Crever de froid ou crever assassiné par une psychopathe. On peut bien choisir sa mort, non? Et puis c'est connu, on le lit tous les jours dans les faits divers. Les psychopathes conduisent presque toujours de vieilles bagnoles. Alors que je suis devant une voiture assez modeste, mais très récente. Je ne prends pas mes jambes à mon cou. Je me penche à la hauteur de la portière. « C'est gentil mais je suis presque arrivé chez moi. » « Presque, presque... Le temps de recevoir encore combien de litres d'eau glacée, déjà? Allez, profite de la chaleur quand il y en a. » « Mais je suis tout trempé. Je vais mouiller les sièges de la voiture. » « Je suis mordue de camping et de plein air, alors tu parles que ma bagnole en a vu d'autres. Allez, monte avant que l'hiver arrive. » Je suis à court d'objections. Et la chaleur qui sort par la fenêtre ouverte, qui tranche avec le froid et l'humidité que j'endure, me semble tellement irrésistible. « OK. » Je ferme mon parapluie, ouvre la portière et prends place dans la voiture. « Voilà comment on procède à un sauvetage, » dit-elle en me souriant doucement. Elle passe la première et nous nous mettons en route. Je la regarde alors pour la première fois, du coin de l'œil. La fin trentaine, peut-être. Des cheveux ...
«1234...9»