1. Saint Matthieu et l'ange


    Datte: 27/09/2020, Catégories: fh, hplusag, religion, Collègues / Travail revede, pénétratio,

    ... de mon clapet. Frère Matthieu tourne à son tour les yeux vers moi et je crois le voir esquisser un sourire. C’est une journée type qui s’ensuit, sous la surveillance d’un frère Pacôme à moitié planqué derrière son bureau, mais toujours aux aguets. Il semble toujours en savoir plus que moi. À vrai dire… il semble aussi en savoir toujours plus que moi sur moi. Je prends d’ailleurs souvent un malin plaisir à refermer bruyamment mon dictionnaire de latin médiéval pour le voir sursauter et s’apprêter à me soupçonner de sabotage sur manuscrit. En fait, il n’est pas très différent d’une bibliothécaire. —ooOoo— J’avance. De plus en plus, de mieux en mieux. Je connais maintenant bien ces moniales du XIVe, du XIIIe, même du XIIe siècle, époque de la fondation de l’abbaye. Je les connais tellement bien qu’il me semble les voir, parfois. Au détour d’une galerie ou dans les bâtiments modernes. Des espèces d’ombres vaporeuses ou bien juste des odeurs, des sensations. Parfois, ce ne sont que les poils de ma nuque qui se dressent comme quand on se sent observé, par derrière. Un gravier dans l’estomac, la gorge qui se serre. Elles sont toutes là, dans toutes ces pierres qu’elles n’ont pas montées les unes sur les autres, mais qu’elles ont fait vivre. Hier, j’ai eu le droit de pénétrer dans le cloître. Les murs des galeries sont massifs, les arcs doubleaux rythment la marche, et chaque porte latérale donne l’impression que l’on va croiser un regard spectral. J’ai pu replacer tous les ...
    ... bâtiments médiévaux sur un plan du XVIe siècle. Certains ont été détruits, d’autres sont bien postérieurs, d’autres encore ont été modifiés. Tous sont habités par cette même âme, habillés par cette aura. Cette même aura qui donne aux vieux édifices religieux un aspect moins strict, plus romanesque. Je comprends mieux Fernand Pouillon et ses pierres sauvages. Chaque moine est une pierre, et ainsi l’Église peut tenir le coup. Ou du moins, on l’espère… si on a la Foi. Je croise frère Pacôme. Il sort du jardin du cloître, les bras chargés de fleurs mauves. Son air est presque amical. Il est peut-être accessible, après tout, une fois sorti de ses rayonnages empoussiérés. Au bout de la galerie, j’aperçois frère Matthieu. Il parle à voix basse à un moine que je ne connais pas. C’est un de ceux qui vivent sur « la face cachée de la Lune ». Il est petit, fluet, presque transparent. Encore, on croirait un spectre. Il semble très vieux. Son visage est affable. Le sourire qu’il adresse à frère Matthieu l’auréole d’une sorte de nuage d’infinie bonté. J’en suis frappée de plein fouet. Encore un moine, un vrai. S’il en est. Mon regard accroche celui de l’hôtelier, toujours aussi bleu, toujours aussi léger. Comme soulagé. Je me presse car je ne me sens pas trop à ma place. Matthieu me fait signe d’attendre et le petit moine me salue d’un hochement de tête. Mes yeux attrapent les siens : c’est tout un monde. Tout un monde intérieur. Je finis par me dire que ce qui plane ici est trop fort pour moi, et ...
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