1. Compagnie solitaire


    Datte: 22/10/2020, Catégories: cérébral, Oral pénétratio, délire, sf,

    ... tout seul, ainsi que tant d’autres, en dépit de l’interdiction de l’homme d’église. Quand il en eut l’âge, il devint militaire. Sa compagnie fut isolée aux confins du désert, lors de la conquête inutile d’une lointaine colonie. Il se satisfit alors de l’arrière-train de l’un de ses camarades, qui ne demandait pas mieux. Après avoir quitté l’armée avec le grade de caporal, il revint dans son village. Grace au pécule qu’il avait amassé au péril de sa vie, il acheta un solitaire qu’il présenta à Bénédicte, en gage de son amour. L’armée l’avait en effet rendu audacieux. Mais Bénédicte était déjà fiancée à l’instituteur du village, si bien qu’elle refusa ce présent, en dissimulant à grand peine une furieuse envie de rire. Aucune autre jeune fille ne voulut de ce solitaire. Il le revendit, mais à perte. Cela lui permit quand même d’acheter un petit champ dont il fit un jardin. Par la force des choses, il avait repris ses pratiques solitaires, accompagnées, si l’on ose dire, de la seule veuve Poignet. Il faut dire qu’il était bougon, pas très beau et que les prestations de Martine, l’unique femme publique de la bourgade, étaient onéreuses. Il voulait bien vider ses bourses, mais pas au détriment de sa modeste bourse. En effet, il gagnait fort chichement sa vie en aidant çà et là aux fenaisons, aux moissons et aux vendanges. Il braconnait parfois, et attrapait des truites en glissant ses mains sous les pierres des torrents. Il élevait aussi quelques lapins et quelques poules. ...
    ... Tout cela lui permettait de manger à sa faim. Mais il maigrissait pourtant, sans savoir pourquoi. La solitude, peut-être. Le soir, alors que sa soupe cuisait dans le chaudron suspendu dans sa cheminée, il sortait de son placard un antique jeu de cartes et il faisait des réussites, que d’aucuns nomment solitaires. Elles échouaient la plupart du temps. Parfois il faisait griller sur les braises presque éteintes une côte de porc donnée par un paysan pour lequel il avait travaillé. Il en mangeait la viande et jetait l’os à son chien. Ce jour-là, une fois le jésuite hors de vue, il aperçut une compagnie de perdreaux et regretta de n’avoir pas pris son fusil. À l’orée du bois, il se demanda s’il allait rencontrer l’ermite qui vivait dans une cabane, au milieu des châtaigniers. Il ne le vit pas. Il l’imagina en galante compagnie et cela le fit sourire. Il inspecta ses collets. Aucun garenne ne s’y trouvait étranglé. Il ramassa des châtaignes, qu’il mit dans sa besace, où elles tinrent compagnie à la rave qu’il venait de voler dans un champ. Il aurait bien voulu trouver quelques champignons, mais la pluie avait été trop rare. Il se promit de déterrer un pied de pommes de terre dans son jardin afin de rendre sa soupe plus fortifiante. Il alla dans le coin des airelles, posa son bâton et se mit à genoux. Un grondement soudain le conduisit à se relever et à se retourner. Les défenses du solitaire lui percèrent le ventre. Il en mourut. Mourut également le ver, solitaire lui aussi, qu’il ...
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