1. Résonance primitive 2


    Datte: 14/11/2020, Catégories: Entre-nous, Hétéro

    À la fin de mon histoire, j’arborais un sourire satisfait et quelque peu défiant face à Alexandre qui restait impassible, les bras croisés. Son sang-froid m’impressionnait presque autant qu’il m’agaçait. À quoi pensait-elle ? L’avais-je troublé ? Excité ? Ou simplement répugné ? Pas le moindre indice dans ses yeux, ni sur ses lèvres. Pas le moindre muscle ou nerf de son visage qui ne la trahit. Non ! Elle me tenait à distance, poliment, mais surement, derrière ses bras croisés et ses yeux bleus profonds, que je ne parvenais pas à traverser. - Vous n’avez rien à dire ? Lui lançais-je, un peu sec. - C’était très cru. Vous avez fait fuir la table d’à côté. Me répondit-elle en laissant filtrer son amusement. - Ah bon ! Fis-je pas vraiment surpris. Là-dessus, elle regarda sa montre, régla sa part et se leva de table. Je n’en croyais pas mes yeux. - Je dois y aller ! Un rendez-vous important. - Ne seriez-vous pas en train de prendre la fuite plutôt ? - Non, dit-elle amusée. Si j’avais voulu fuir, je l’aurai fait au début de votre histoire. Nous nous sommes dits au revoir rapidement devant le café, et je l’ai regardé traverser la place en direction du centre, sous une pluie fine diagonale. Lorsqu’elle a disparu, la laideur de mon environnement immédiat a repris le dessus, me glaçant au passage. Une place vide, sans terrasse, traversée de quelques badauds pliant l’échine sous la grisaille d’un mois de février qui tient ses promesses. Des camions qui déchargent des bonbonnes et des ...
    ... caisses. La tristesse du commerce. Je perds ma pensée dans mes pas, sur le chemin du retour, et me demande pourquoi nous vivons ainsi, comme une entreprise commerciale ? Le fric est partout où se pose mon regard, rien n’y échappe, même pas les arbres. L’air, peut-être ? Non ! On paye des taxes pour pouvoir le polluer. Nous naissons pour usiner en fait. Dressé à devenir spécialiste dans un domaine ou deux, et déléguant nos ignorances aux autres. Une dépendance totale. Un système cloisonnant. L’argent, c’est le sang de ce système, et nous sommes les veines par lesquelles il circule. Hélas, il y a des nœuds, de la rétention. Si nous sommes les veines où est le cerveau ? Pourquoi nous commettons-nous en toute conscience dans cette aberration anthropophage? Perdons-nous notre âme dans cette entreprise, ou la révélons-nous ? Cette dernière pensée me fait frémir. Je me raccroche alors au regard bleu d’Alex, aux dessins de sa bouche. Son image m’apaise. Je lève les yeux de ce bitume humide, cherchant le ciel entre les murs. La grisaille n’est pas si moche après tout. Je voudrais l’aimer plus, je le sais, mais c’est impossible. Il y a une limite entre nous, une limite marquée par le « vous » que nous employons tacitement. Mais au fond de moi, à l’affût, je voudrais la faire tomber, la faire renoncer, et s’offrir à moi, tout entière. À la vue de la boulangerie de mon quartier, je dévie de ma trajectoire. Midi ne doit plus être très loin, et, bien dressé, j’ai faim. Je fais la queue ...
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