1. Acte II : Thomas l'imposteur


    Datte: 20/10/2017, Catégories: cérébral,

    ... lui plaisais sans même chercher à la séduire, voyait-elle que je l’aimais déjà ? Je la raccompagnai jusqu’à son adresse, du côté de Plaisance. Et là, sur le trottoir, elle m’embrassa. Elle m’emmena. Et nous nous aimâmes. Trois mois d’amour fou. Trois mois plus denses qu’une vie tout entière. Trois mois à se dévorer, à se serrer, à se blottir et s’éblouir. Chaque journée trop longue, le métro trop lent, la rue trop interminable à parcourir, le cœur battant de bientôt la retrouver, de goûter le fruit de ses lèvres et celui de son sexe, de humer l’écorce fine de sa peau, de parcourir la surface de son ventre et la courbe de ses seins. L’émotion de bouger en elle, de la sentir me chevaucher, de la voir jouir, de nous abandonner l’un à l’autre. Et puis Elsa qui rit en allumant sa cigarette. Et son sourire qui s’estompe, devient plus grave. Elle s’approche tout près, si près, ses yeux plongés dans les miens. Et elle me souffle : — Thomas, je t’aime. Le bonheur existait donc, ce n’était pas une invention des livres. Et pourtant j’avais honte. Je n’aimais qu’elle et je lui avais menti. Notre rencontre ne devait rien au hasard, et tout me le rappelait. Si d’aventure elle m’appelait, un des rares soirs où je logeais chez moi, à Barbès, je me hâtais dès le lendemain d’effacer la bande où résonnait le son de ma propre voix. Je me sentais misérable. Alors un soir d’été, je l’invitai à boire un verre en terrasse. J’avais quelque chose à lui dire. Une ombre passa sur son visage. — Tu…— ...
    ... Non. Je t’aime.— C’est pour moi, la lettre sur la table ?— Non, c’est pour mon boulot. Une lettre de démission. Un large sourire balaya ses inquiétudes. — Tu en as marre de guetter des accidents qui n’arrivent jamais ? C’est plutôt une bonne nouvelle ! Alors il me fallut bien lui avouer toute la vérité. Ses yeux se brouillèrent. Elle se tut longuement. Elle m’adressa un sourire navré, où restait encore un peu de tendresse. Et puis elle se leva, et partit sans se retourner. Je l’avais conquise sans la mériter. Je venais de la perdre au moment précis où je ne le méritais plus. Quelques jours plus tard, je trouvai dans ma boîte aux lettres un roman de Cocteau,Thomas l’imposteur. Je ne l’ai jamais lu, à peine la page de garde où elle avait tracé: ~~oOo~~ 16 h 25. Les minutes s’égrènent sur l’horloge murale. Elle ne doit plus être très loin. Peut-être est-elle même déjà dans le couloir, attendant docilement l’heure prévue dans les consignes, qu’il a eu l’habileté de présenter comme un jeu librement consenti plutôt que comme un ordre. Je retrouve bien là le goût de la manipulation de cet homme que nous ne désignons que sous un nom de code : Cobra. J’ai appris à le connaître, au cours de ces trois mois de surveillance étroite. Que les choses soient claires : personne au Service ne le soupçonne d’espionnage industriel au profit d’intérêts privés ou de puissances étrangères. Il se trouve simplement qu’il est le directeur financier d’un très important consortium industriel, dans lequel ...
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