1. Acte II : Thomas l'imposteur


    Datte: 20/10/2017, Catégories: cérébral,

    ... Les hasards du militantisme avaient simplement dû la mettre en contact avec une des cibles prioritaires de nos écoutes. Alors un de mes collègues un peu trop zélés avait dû juger bon d’ajouter son nom à la liste de surveillance, et c’est à moi qu’il avait été attribué. Je ne m’attendais à rien de précis en tournant le sélecteur déclenchant la lecture de la bande magnétique, sinon à des conversations idéalistes et un peu naïves, à des complicités de gentils conspirateurs post-adolescents. Mais dès la première seconde, je fus subjugué. Cette voix, sa voix, la voix d’Elsa, ce timbre chaud et vibrant comme un violon alto, ce grain imperceptiblement voilé immédiatement reconnaissable, si proche de celui qui portait les chansons de Maurane, et puis son débit dansant comme une mélodie, réveillant en moi des souvenirs d’enfance et d’innocence, de pêches mûres chapardées dans les vergers. Quelque part dans la ville, elle existait, et cette seule pensée me gonflait d’espoir, m’imposait de la protéger, avec pour seule récompense de l’entendre parler à ses amis ou sa famille. Bien entendu, ce ne fut bientôt pas suffisant. Je voulus l’apercevoir, sans la compromettre. Ce ne fut pas difficile. Une copine lui avait proposé au téléphone de boire un verre le soir même, dans un café de Montparnasse. J’arrivai avant l’heure, mais l’écho de sa voix commandant un verre de blanc me confirma aussitôt sa présence. Je m’assis discrètement à la table voisine, fis mine de lire un bouquin. C’était peine ...
    ... perdue : sa beauté farouche m’irradiait. La copine tardait, elle s’impatientait. Alors elle sortit une clope – on fumait encore dans les cafés, à cette époque –, fouilla dans son sac, puis se tourna vers moi : — Tu n’aurais pas du feu ? Je tendis mon briquet, et elle m’offrit son plus beau sourire. — C’est bien ?— Tu veux dire ?— Ton bouquin. Ou plutôt tes bouquins. Blaise Pascal et Paul Valéry, tu ne fais pas dans le roman de gare. Tu es étudiant en lettres ?— Non, pas du tout. C’est juste que mon boulot n’est pas très prenant. Il me laisse plein de temps à tuer, alors je lis, ce qui me convient bien.— Et c’est quoi ce boulot ?— Un truc d’informatique. Je surveille des écrans. Attendre. Veiller à ce qu’il ne se passe rien. Et il ne se passe jamais rien de critique. Donc je lis. Elle rit, et notre conversation se poursuivit, et je fondais en la voyant si proche, si gracieuse et sauvage, les mèches de ses cheveux bruns tombant sur ses yeux bleu pétrole, aussi rebelles qu’elle. Au troisième verre de blanc, elle conclut que la copine avait fait faux bond. Alors elle me proposa de l’accompagner, et je la suivis. — On va où ?— Je ne sais pas… Avec un amateur de littérature, peut-être jusqu’au bout de la nuit, qui sait ?— Tu aimes Céline ?— Oui. Mais j’évite de le dire à mes potes. Ils trouveraient mes goûts suspects. La nuit fut délicieuse. Nous marchâmes longuement dans la ville, tout était prétexte à complicité. J’étais comme touché par la grâce, l’air était doux, je vis que je ...
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