Le ridodo - Histoires de Sexe

Le ridodo

... insiste : — Venez, approchez ! Venez vous asseoir ! J’obéis, un peu surpris par cette invite inattendue. Je m’assois, troublé, à l’autre bout du banc. — C’est beau non ? dit-elle en présentant le panorama d’un geste large. Je détaille l’horizon : — Il y a le ciel, le soleil et la mer ! Putain pépère, secoue-toi ! François Deguelt maintenant ! 1965 ! Ce n’est même pas de ta génération, ça ! — C’est beau, c’est vrai ! On est où ici ?— Au bout du monde, répond tranquillement la jeune fille. Sa voix est basse, chaude. Claire et sereine. — Merci, me dit-elle Merci ? Je suis surpris, interloqué même. J’abandonne le panorama marin pour me tourner vers elle, la regarder vraiment : — Merci, mais… mais de quoi, Mademoiselle ? Elle tourne son joli visage vers moi et je découvre ses yeux noisette, son nez fin, un peu pointu, sa bouche, fine et optimiste. — D’habitude, les gens débarquent, s’installent sans rien demander, s’en s’inquiéter de savoir s’ils en ont le droit, s’ils dérangent ou pas. Vous, vous avez demandé ! Vous êtes gentil ! Gentil, le mot me fait sourire, je lâche même un rire discret accompagné d’une moue dubitative. La jeune fille m’observe en fronçant les sourcils : — Non ? Vous n’êtes pas gentil ? Je lui souris, pour la rassurer : — Oh si,… si, je suis gentil ! Très gentil, on me le dit souvent !— Alors, où le problème ?— Il n’y a pas de problème. C’est juste que, gentil est un des mots de la langue française qui a le plus de synonymes, de sens cachés, de sous-entendus ...

... plus ou moins gratifiants. Ou pas !— Franchement, j’étais sincère !— Je sais, et je vous en remercie Mademoiselle. Ne vous inquiétez pas, je suis gentil, oui, et d’ailleurs, je le revendique ; c’est juste que je fais une fixette sur ce mot qu’on m’attribue souvent et rarement dans une intention favorable. La demoiselle me fixe, intriguée, ses grands yeux écarquillés : — Expliquez-moi… Enfin si vous le voulez bien… Je ris : — Oh, ben, il y a le gentil, le vrai, le bon. Et puis très vite derrière, il y a le gentil bien brave, la bonne poire, la bonne bête. Et puis, le gentil un peu neuneu— Neuneu ?— Excusez-moi, ce n’est pas de votre génération ce mot-là : neuneu, c’est bêta, un peu couillon, le simple comme on dit dans le Midi, le simplet. Arrivé là, on est plus très loin du fada, de l’idiot du village, qu’on peut manœuvrer, manipuler facilement. Bref, le gentil est l’exact contraire de l’homme d’aujourd’hui ! Dans notre monde actuel, il ne faut surtout pas être gentil, il faut être fort, intraitable, cynique, méfiant, fourbe, loup aux dents longues, jeune cadre dynamique prêt à tout écraser, tout et n’importe qui, pour arriver. Pour ARRIVER ! Dominer ! Régner ! Écraser ! La donzelle réfléchit un instant. — Et vous, vous êtes quelle sorte de gentil ?— Oh mon dieu, un peu tous en même temps sûrement ! Du genre à transformer en rayon de soleil le sourire de la gentille vieille que j’ai laissée traverser tranquillement devant le museau de ma voiture, du genre à savourer comme une ...