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La vie...
Datte: 07/12/2017, Catégories: nonéro,
... avais-je pu oublier les horaires d’esclavagiste que l’hôpital imposait à son personnel ? Elle mangea sans un mot et s’en fut, s’arrêtant juste un instant sur le palier pour me jeter un coup d’œil interrogateur. Mes enfants finirent par se lever également. Bise distraite, petit déjeuner ensommeillé, et direction le canapé pour la traditionnelle séance télé. De bons petits, en somme. Nouveau choc pour moi. Pour eux aussi, que j’existe ou pas n’aurait pas fait la différence. Un léger vide tout au plus. Je n’en revenais pas d’être passé à côté de cet état pendant tant de temps. Tandis que je rangeais la vaisselle, j’élaborais diverses théories à ce sujet, dont la plus raisonnable était sans doute la douceur du temps qui passe : rien, absolument rien pendant ces trois ans, n’avait remis ma situation en question : mon emploi perdu, je n’avais pu, voire voulu, en retrouver un autre, alignant les prétextes, acceptant les excuses, bercé par la douceur de l’indemnité de licenciement d’abord, par le confort de l’allocation de remplacement de revenu ensuite, puis, ces 6 derniers mois, par le savoir-faire budgétaire de mon épouse et sa résignation de me voir à la maison jour après jour. Même côté besoins, je ne dérangeais personne : je ne buvais pas, ne fumais pas, ne voyageais pas, ne courais pas les filles. Un bon petit mari, en somme, dont on ne parle pas trop, qui ne la ramène pas, avec qui on fait l’amour une fois toutes les semaines avec tendresse et sans passion. Comment Elisabeth ...
... pouvait-elle supporter cette vie sans saveur ? Et qu’étais-je devenu pour la lui imposer. Il fallait que je réfléchisse. Maintenant. Pas dans deux jours, pas demain. Maintenant. — Les enfants, votre manteau, on va chez Papy et Mamie. Mes parents étaient une valeur sûre pour eux, mais l’était-elle au point de renoncer aux dessins animés dominicaux ? Heureusement pour moi, il sembla que oui : Une heure et un train plus tard, nous sonnions à la maison de mon enfance. Ma mère fut à la fois surprise et heureuse de nous voir arriver sans prévenir. Elle s’étonna bien qu’Elisabeth ne nous accompagne pas, mais l’hôpital et ses horaires étaient un sésame à ce genre de situations. Déjà, les enfants couraient vers le jardin et leur grand-père… Pour couper court à toutes les explications, aux supplications ou aux discussions, je grimpe quatre à quatre les marches qui montent au grenier de la maison, mon refuge d’adolescent. La porte s’ouvre en grinçant, laissant échapper une lourde odeur de poussière, de vieux, de moisi. Là, je m’enferme, rabattant le loquet que j’avais installé lorsque j’avais seize ans à l’époque où je voulais la paix et la tranquillité. Rien n’a changé ici, juste un peu plus de poussière, de toiles d’araignées. Dans son coin, il y a toujours le vieux canapé – ah qu’il en a vu des choses, ce canapé ! À sa tête, une grande étagère, qui passe sous la fenêtre, chargée de livres, de papiers, de dossiers, de vieux cahiers … Dans le coin opposé, la vieille chaîne stéréo, qui ...