1. Métamorphose


    Datte: 18/06/2017, Catégories: nonéro, humour, sf,

    Francis Pichon était dans sa baignoire, ne pensant à rien, bercé par l’écoulement de l’eau chaude qui atteignait à présent le niveau de ses épaules. Quand on se plonge dans un liquide à la température adéquate, le corps ne fait plus la distinction entre le soi et « l’extérieur ». Pichon avait décidé de s’immerger totalement pour ne plus « être », ne plus « ressentir », tentative futile et désespérée pour se fuir lui-même en niant son ancienne personnalité. Dans les lentes volutes de vapeur qui montaient depuis la surface paisible de l’eau, il se posait la question ultime : — En seras-tu capable ? Capable d’aller jusqu’au bout, de se laisser volontairement suffoquer par le fluide tiède dans lequel il baignait - comme un fœtus dans le ventre maternel - une fois que celui-ci aurait atteint, puis dépassé, le niveau de sa bouche, de son nez ? Il toucha son crâne nu, regrettant le contact des bouclettes blondes qu’il avait appris à apprécier ces derniers mois. Avant tout cela, Pichon était un autre homme, heureux, somme toute, de son sort moyen, de ses petits bonheurs, de sa vie tranquille et sans histoire. Et puis c’était arrivé, comme une malédiction… En tout cas, il l’avait vécu comme ça, au début. Il lui avait fallu accepter ce changement en lui, pour l’apprivoiser, l’intégrer. Et aujourd’hui… voilà que tout lui était arraché. Il ferma les yeux, laissant monter les souvenirs, tandis qu’autour de lui l’eau tiède et inexorable partait à l’assaut de son cou… Tout avait débuté l’an ...
    ... dernier, le premier samedi du mois de mars. oooOOOooo Francis Pichon se réveilla avec un sentiment de bien-être presque euphorique, en ce début de week-end. Qu’y a-t-il de plus agréable que d’émerger d’une bonne nuit de sommeil, sans qu’unbuzzer sans pitié ne vous tire par la manche pour vous jeter hors de votre lit, grelottant et totalement vulnérable face au lot d’emmerdes déjà toutes prêtes à vous tomber dessus d’une nouvelle journée de travail ? Cette vision pessimiste de la vie qu’entretenait Pichon, il l’avait héritée de son existence dénuée de reliefs. Pichon était un « sans grade », comptable anonyme travaillant au siège social parisien d’une grande société de distribution alimentaire, tout aussi alimentaire que son job. Où était passée l’existence dont il avait rêvé étant gosse ? À l’époque, il se voyait chasseur de trésors en Amazonie. Dans ses songes éveillés, c’était à coups de machette rageurs que Francis l’aventurier défrichait sa route, sans craindre les inévitables mauvaises rencontres : jaguars affamés, mygales grosses comme desfrisbees, cannibales réducteurs de têtes… Et puis les rêves s’étaient dissipés, la réalité nauséeuse et bétonnée avait remplacé le charivari des toucans multicolores dans les frondaisons équatoriales de son imaginaire intrépide. Quand devient-on adulte ? Quand on arrête de croire que tout est possible, ouvert et sans limites. Il avait fallu arrêter de musarder pour se mettre aux choses sérieuses : gagner sa croûte. De fil en aiguille, ...
«1234»