1. La leçon


    Datte: 01/02/2018, Catégories: nonéro, historique, contes, initiatiq,

    1. Silence absolu du dojo. Le temps en ce lieu semble figé. Statue immobile au visage de marbre, Maître Eno est assis sur son coussin de méditation. Un arc et une flèche sont posés à plat devant lui. Cet homme est le vrai Bouddha, le vrai Maître, l’homme véritable, en harmonie avec la réalité des choses. Quel âge peut avoir Maître Eno ? Le disciple en posture zazen derrière lui répondrait qu’il a plus de 87 ans. Si l’on posait cette même question à l’intéressé, il répondrait sans doute par une autre question, un koan : « Quel bruit fait-on avec une seule main ? » par exemple. Soudain l’arc est apparu dans la main du Maître et la flèche s’est envolée. Elle a atteint son but en plein centre de la cible. Mais Maître Eno n’en tire aucune satisfaction : au nom de quoi pourrait-il être fier ? L’enseignement de ses maîtres est clair : « Aucun mérite » (1). Il a repris sa posture. Il est à nouveau une statue en harmonie avec l’univers. Son arc a retrouvé exactement la place qu’il avait deux secondes auparavant. Maître et disciple resteront ainsi deux heures encore… Zazen, c’est simplement s’asseoir. Ainsi sont-ils semblables au Dragon pénétrant dans l’eau, ou au tigre retrouvant ses forêts profondes (2). 2. Vers le milieu de l’après-midi de ce même jour, un jeune cavalier vint se présenter à la porte du château du Seigneur Eno. Yukio Susheido était un jeune rônin dont les faits d’armes étaient déjà célèbres dans la région d’Osaka. Brave, habile au sabre, il était réputé également ...
    ... pour son habileté au tir à l’arc. On prétendait qu’il était capable de tirer trois flèches au centre d’une cible, la troisième quittant son arc avant que la première n’ait atteint son but. Au garde qui s’enquérait de ce qu’il voulait, il répondit avec hauteur : — Dites au Seigneur Eno que je suis venu apprendre de lui l’art du tir à l’arc.— Le Seigneur Eno ne reçoit plus, répondit le garde. Susheido eut un sourire carnassier. — Allez lui dire que je ne partirai pas d’ici avant d’avoir reçu son enseignement. Alors le garde alla trouver le capitaine qui gronda, puis se radoucit lorsqu’il apprit le nom du visiteur. Il alla trouver Takuan Eiji, le plus proche disciple du Maître pour lui demander ce qu’il convenait de faire. Takuan était un homme avisé et réfléchi. Cinquante ans, très grand et très maigre, il étudiait le zen avec Maître Eno depuis que ce dernier avait pris sa retraite de général et s’était retiré dans sa forteresse. Jusqu’à présent, le prestige et le rang du vieux Maître lui avaient épargné ce genre de désagrément, mais la jeunesse de cette fin de siècle que le gouvernement Tokugawa avait préservée de toute guerre était de plus en plus stupide et arrogante. « Voilà un jeune présomptueux qui n’a jamais vu une goutte de sang couler, et qui prétend imposer sa volonté au plus grand général du pays. Par les dieux, que ce monde se dégrade… » marmonna-t-il en se rendant à la rencontre du visiteur. — Bienvenue à vous, Susheido-san, dit Takuan en s’inclinant. Que puis-je ...
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