1. La leçon


    Datte: 01/02/2018, Catégories: nonéro, historique, contes, initiatiq,

    ... je sais bien que ce n’est pas la neige qui t’inquiète… Tu as peur que ce jeune rônin dont les exploits sont parvenus jusqu’à toi ne soit plus fort que moi. Et tu as peur pour ma vie. Est-ce bien cela ?— Oui Maître.— Mais ma vie n’a aucune importance, ni pour toi, ni pour moi. Ce qui importe, c’est le Zen. Pénétrer la Voie n’est pas difficile, mais il ne faut ni amour, ni haine, ni choix, ni rejet. Il suffit qu’il n’y ait ni amour ni haine pour que la compréhension apparaisse, spontanément claire, comme la lumière du jour dans une caverne (3). Si tu t’attaches à moi, tu ne pourras jamais atteindre le Satori.— Mais je ne veux pas que vous mouriez, Maître…— Zazen, c’est observer la mort pendant la vie, c’est entrer vivant dans son cercueil et trouver la solution au problème de la mort. Ceux qui résolvent ce problème fondamental peuvent trouver le véritable bonheur dans la vie (4). Cesse donc d’avoir peur et de pleurer. Viens me chercher le jour dit ; et surtout, n’oublie pas les chevaux. Takuan obéit, la mort dans l’âme, et c’est avec une immense inquiétude, qui lui fit prendre conscience qu’il avait encore beaucoup à apprendre, qu’il regarda s’éloigner son Maître. 3. Il neigeait depuis trois jours. Susheido avançait tranquillement sur son cheval en direction du lieu de son rendez-vous. Soudain, à trois cents mètres devant lui, juste sous un grand chêne, il le vit. Assis en posture zazen, un arc et une flèche posés bien à plat devant lui. Susheido descendit de son cheval et ...
    ... avança en direction de son adversaire. Celui-ci ne fit pas un geste. Il semblait concentré au point de ne pas avoir remarqué celui qui venait vers lui. Susheido fit halte à deux cents mètres. C’est alors qu’il remarqua qu’aucune trace de pas ne se trouvait près du vieil homme.« C’est impossible, ce vieux fou est en posture depuis trois jours ? » Lui revinrent à l’esprit tous ces Maîtres légendaires du Japon, capables, disait-on, de rester plusieurs mois, voire plusieurs années assis, sans bouger ne serait-ce qu’un doigt. Et personne, ni hommes, ni femmes, ni démons, ni bêtes sauvages n’avaient pu les empêcher de continuer. Les plus sages les laissaient tranquilles, les plus fous y perdaient la vie. Susheido maintenant ne pouvait détacher son regard de l’arc et de la flèche posés devant Maître Eno. Une seule flèche. Maître Eno ne ratait jamais sa cible, disait-on. « Bah, allons… Cesse d’avoir peur de ce vieux fou. Peut-être même est-il endormi à force de rester comme cela ? » s’exhorta Susheido. Mais il sentit des gouttes de sueur perler le long de ses tempes, et soudain ses jambes se dérobèrent sous lui. Pris d’une soudaine panique, il se retourna et courut vers son cheval sans même comprendre ce qui lui arrivait. Le soir même, lorsque Takuan arriva près de son Maître, il le trouva immobile sous son arbre en train de faire zazen. Devant lui, son arc et sa flèche posés bien à plat. Tout d’abord, il n’osa pas le déranger, mais au bout de deux heures, tremblant de froid, il ...