1. Celui que tu ne verras jamais


    Datte: 28/03/2018, Catégories: h, fh, cérébral, revede, Masturbation nopéné, mélo, regrets,

    Comme tous les soirs, l’ouvrier du quatrième est le premier à rentrer. Je l’identifie avant même de le voir, grâce au bruit des pataugas usés traînant sur le carrelage. Il gravit marche après marche, sans hâte, sans dilapider ses forces en prévision des quatre étages à monter. Enfin, sa silhouette massive apparaît dans mon champ de vision. Il est là, le ventre débordant d’un pull-over aux couleurs passées, l’œil torve, la mine sombre, la clope au bec. Tous les soirs, en rentrant du chantier, il grille sa gitane dans la cage d’escalier. Il est de ces gens qui préfèrent empuantir le voisinage afin de pouvoir respirer normalement chez eux. Il s’arrête au premier étage, devant ma porte, sans savoir que, derrière le judas, j’épie ses moindres mouvements. Il respire avec difficulté, le souffle court, puis est pris d’une longue quinte de toux, grasse et chargée de glaires. Ça fait plus d’un mois qu’il crache ses poumons, chaque soir, entre deux bouffées. Une bronchite ne dure pas si longtemps. Dix-neuf heures trente, c’est au tour du jeune cadre dynamique du second. Chaque matin, sanglé dans son costume cravate, il descend les marches quatre à quatre, en sifflotant, le visage déformé par un sourire béat que personne d’autre ne peut voir, comme s’il se donnait l’illusion d’aimer ce qu’il fait. J’ignore quel est son travail ; peut-être son investissement énergique lui a-t-il permis de faire décrocher à son entreprise un contrat juteux, juste sous le nez de la concurrence. Le soir, il ...
    ... rentre tard, la mine grise, le pas amorphe, les épaules tombantes. Comme d’habitude, il restera cloitré dans son studio, sans voir personne, rassemblant dans son existence qui part en vrille juste assez d’énergie pour tout recommencer au matin. Un jour, peut-être renoncera-t-il à sourire. — Raaah… Y’a le bougnoule du cinquième qu’a encore fumé dans l’immeuble ! La voix résonne, couvrant à grand peine les glapissements aigus de la marmaille. La tribu entame laborieusement l’ascension de l’escalier dans un vacarme épouvantable : — Kévin, ne reste pas dans mes jambes ! Ou bien : « Arrête d’embêter ta sœur ! » — Et voilà, la lumière s’est encore éteinte ! Ils déboulent dans mon champ de vision comme le radeau de la Méduse, une mère de famille grise et informe entourée de sa meute de chiards, flottant sur des sacs en plastique d’un supermarché pour smicards. Ça crie, ça jappe, ça pleure, et par-dessus tout ça, la voix de la mère geint, enfle, gronde. Son discours n’est que plaintes et menaces. À l’entendre, le monde s’est ligué pour pourrir la vie de cette femme au foyer célibataire : des allocations familiales au syndic, en passant par les banquiers, la météo, le démarreur de sa Nevada et, ce soir, le voisin basané du cinquième qui prendra pour les autres. Dix bonnes minutes sont nécessaires pour que leur transhumance s’achève, au troisième étage, où humains et immondices s’avachiront devant la télé, regardant la vie des autres pour oublier la leur. La lumière s’éteint, puis se ...
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