1. Une dernière photo pour la route (Épilogue)


    Datte: 10/04/2018, Catégories: fh, amour, mélo,

    ... l’embrasse, elle se précipite dans les eaux glacées, je l’entends crier. J’y lis une offrande, comme un rite primitif, un moment où l’exubérance des corps touche au sacré. Elle revient vers lui, tremblante, mais souriante. Et là, elle lui parle à voix basse et il se fige. J’ignore les mots qu’elle prononce, mais j’ai l’absolue certitude qu’ils forment l’essence de l’amour et celle du bonheur. Je suis convaincu que c’est cette image, ces mots qu’il revit en cet instant. Je redoute tellement qu’ils ne cessent de le hanter. Jonas est un si bon garçon. Son seul péché est la prudence. Pourvu qu’elle ne le perde pas. Quant à elle. Elle est là, bien sûr. On ne voit qu’elle. Sur le cercueil, Virgile a posé un magnifique portrait de moi, assez récent. C’est elle qui l’a pris. Il est parfaitement pudique, mais j’y suis à nu, au propre comme au figuré. N’allez pas pour autant imaginer une quelconque ambiguïté dans ce qui me lie à elle, notre amour est d’un autre ordre. Virgile a aussi eu la touchante idée de pendre aux cimaises une série de tirages géants représentant un aperçu de mon travail, une sélection balayant toute ma carrière. Il a absolument tenu – il a bien fait – à placer en évidence le premier des onze nus que j’ai eu le privilège de photographier grâce à elle. J’y ai mis tout ce que je savais, tout ce que j’ignorais encore, toute la maîtrise de mon art et tout le mystère de ce qui m’échappe, c’est ...
    ... l’aboutissement absolu de mon travail de photographe, c’est aussi mon testament d’homme. Vous l’y verrez, elle, et vous y trouverez aussi tout ce qui compte, quand on résume une vie. Les fulgurances de la beauté, le souffle de la liberté, le miracle de la tendresse, l’exultation de la jouissance, les bourrasques de l’océan, le sens du don, la pureté d’un rire et celle d’une larme, et puis l’amour bien sûr, et puis l’infini. La voici qui s’avance, depuis le pilier contre lequel elle était appuyée. Je ressens sa douleur que je voudrais tant consoler. La tête tendrement posée sur l’épaule de Cléo, elle suit la cohorte de ceux qui défilent autour de mon cercueil, pour y poser une main, un salut, un signe. Cette fois, Jonas l’a aperçue, et il ose enfin ne plus la quitter du regard. Elle ne cherche personne, elle n’est là que pour moi, elle sent peut-être combien je l’encourage à fuir au plus vite, à se gorger de la vie, sans perdre un instant. Mais juste avant, elle s’arrête, sourit à mon portrait. Et y dépose un simple brin de mimosa. ~~oOo~~ Il me reste encore une image à vous décrire. Nous sommes quelques jours plus tard. Le voilà qui s’approche de ma maison. Il n’a pas assisté à la cérémonie en mon hommage. Mais il a répondu à l’invitation de Virgile, mon héritier et exécuteur testamentaire. Virgile l’accueille et lui remet une lettre, qu’il m’est d’autant plus facile de déchiffrer que c’est bien moi qui l’ai rédigée. ~~•••~~ 
«123»