1. Corps céleste


    Datte: 20/06/2017, Catégories: amour, historique,

    22 juin 2006, Cognac, Le Thelonious. L’une galoche de menton, l’autre fleurie de pantalon. Celle-ci blonde, l’autre rousse peut-être. Petit bar, petite province, petite ville et, mince provocation, le piercing de la blonde qui sous la langue aurait un goût de vieux fusil ou de silex épicé. L’une timide rentre-dedans, l’autre verrouillée de l’intérieur, prête à jaillir,sparkling comme disent les Anglais du champagne. Deux copines jeunettes entre deux âges, féminines de silhouette et femmes déjà dans l’ourlé d’une lèvre, gorgée de pulpe adolescente. Femmes de seins pommelés et pointus qui promettent mais sans ostentation. Caressant son sax, il regarde la musique. Il la cherche dans la salle, à venir, irruption prochaine des lointains où il vient d’éparpiller des grappes sonores. Châtain de cheveux comme la moire cuivrée du tube dont il joue. D’une longiligne élégance, celle vive d’un félin dont les coups de griffes rutilants, rauques et rougeoyants lacèrent la chair nocturne qui habille l’endroit. Vêtu de bleu, de l’âme aux pieds : chemise, regard, pensées. Mais son souffle chaud quand après avoir regardé dedans, à l’intérieur de lui, il secoue le brasier de ses notes en ribambelles d’escarboucles. Solo c’est seul qu’il tintamarre avant que ne brinquebale la batterie et ne pulse, tempo, la contrebasse puis clinquante canaille le piano électrique cahin-caha qui les rejoint, les précède, les cajole, dégoulinante cascade qui les éclabousse. Ils ont repris le thème, en chemin. Et ...
    ... pendant qu’ils le raccompagnent, lui s’est détendu, souple comme un roseau ; les yeux clos d’un Christ à la Redon, son instrument qui pend, utile prolongement de son corps, c’est sûr comme un sexe qui bande quand il entonne les réjouissances puis s’alanguit quand il retourne à l’intérieur entendre ce qui s’annonce dans ses poumons et dans sa gorge. Après c’est un peu différent avec la guitare qui les rejoint. Pas là au début, mais ils jouent de suite à je te cherche des noises. Comme ça on fait chorus, guitare et deux ténors maintenant ils sont, à escalader la gamme, et ôte-toi de là que j’y pousse ma note. À leurs mains mille doigts, tant vites sur les clefs à gravir l’échelle de Jacob de ce grand corps fauve – leur musique feulement de Bengale – mille doigts comme autant de scalpels, lumineux poissons vif-argent et, fébrile forcément tout ce monde à les écouter allumer ces flamboiements de météores qui scalpent les ténèbres. Ces histoires qu’ils se racontent. Je te cherche des poux où bat le pouls de ton impro et si jamais ça suffit pas, je sème mes notes dans les sillons décalés de ton tempo et si jamais ça suffit pas, on joue contre joue la même mélodie et tes cils battent le contretemps de mon chœur. Noises blues, la finale estocade qu’ils balancent haletants. À côté les deux mignonnes filent bon train l’écheveau d’une conversation sans queue ni tête : éclats tapageurs d’onomatopées ou rires de gorge des fois que trop discrètes, œillades qui viennent rebondir jusque sur ...
«1234...12»