Alors une femme
Datte: 13/11/2018,
Catégories:
nonéro,
mélo,
portrait,
... cuisinier. * * * Il y avait des jours de pluie, vert foncé. Parfois seulement un grain rapide, plutôt bleu, aussi bref que violent. Le vent tordait les cimes des pins, disloquait les membres hagards des oliviers, faisait crier les arbustes. Ces jours-là, Paul s’imposait tout de même sa séance de natation. Pour être digne de son père, pour répondre aux espoirs immenses que ce dernier plaçait en lui, il s’était fabriqué une volonté farouche. Quel que fût le temps, chaque jour, Paul nageait jusqu’au radeau ancré à plusieurs centaines de mètres de la plage. Après cet effort, toujours intense, il se reposait un moment sur le radeau avant d’entreprendre le trajet de retour vers la plage qui, vue de là, paraissait aussi lointaine que l’Amérique. Ce jour-là, quelque chose bougea dans le cercle de silence dessiné par la mer légère avec des mouvements lourds et la lente cavalcade figée des oliviers dans les rochers : un nageur affrontait le courant très fort à la sortie de la crique, pour atteindre le radeau. Paul vit le nageur s’épuiser. Les membres de l’inconnu s’ensablaient dans l’eau et plus vite d’un côté que de l’autre, semblait-il. Le garçon comprit que le nageur n’atteindrait pas le radeau. Il plongea pour lui porter secours. C’était une femme. Il la rattrapa par les cheveux au moment où, à bout de force, elle s’enfonçait. Il la ramena à la surface. Paniquée, elle s’accrocha à lui, manquant les perdre tous les deux. Paul réussit à dénouer son étreinte et, au prix d’un effort ...
... gigantesque, il nagea pour deux jusqu’au radeau. Quand sa main convulsivement tendue accrocha enfin le bois, il était à bout de forces. Toujours tenant l’inconnue par la taille, il dut consacrer de longues minutes à reprendre son souffle avant de se hisser sur le plateau, de tendre la main pour hisser à lui l’inconnue. Elle se laissa choir sur le dos. Ses yeux étaient clos. Elle pouvait avoir seize ou dix-sept ans, certainement pas plus. — Vous auriez pu y rester, dit Paul.— C’est peut-être ce que j’espérais.— Vous êtes folle !— Vous ne savez pas ce que je vis. Il ne s’était jamais trouvé face à une personne qui envisageât la mort, la mort maintenant, là, tout de suite, la mort consentie, comme une solution à ses problèmes. — Pourquoi voulez-vous mourir ?— Je les déteste. Vous pouvez imaginer ce que c’est que d’être née au sein d’une famille que l’on déteste et méprise ? Je hais leur crasse et leur bêtise. Par malheur, pour mon malheur, je ne suis pas comme eux et ils me rendent cette détestation avec intérêts. Du moins était-ce le cas jusqu’à présent. Je m’y étais habituée. Mais depuis que je suis devenue femme, le vieux a des regards sur moi qui me donnent la nausée. Je ne serais pas la première à « y passer » : cela fait en quelque sorte partie de la culture familiale. Mais cela, je ne pourrai pas le supporter. Paul la regarda plus attentivement. Il se souvenait avoir aperçu ce visage, déjà. — Tu es une Peillon, n’est-ce pas ?— Sandra. Elle avait de longues jambes minces, ...