1. Suspension


    Datte: 26/12/2018, Catégories: nonéro, mélo, nostalgie, amourdram,

    C’était là, calé à l’arrière de son crâne. Une sorte d’érosion lente, des ongles qui grattent la surface du silence. La nuit était venue depuis de longues heures, mais le sommeil continuait de le fuir. Il ressentait ce léger sifflement dans son oreille droite ; son auriculaire s’y infiltrait avec régularité pour en déloger la source. Mais ça ne venait pas de lui, c’était la chambre qui murmurait, et avec elle les planchers qui se fissuraient lentement de l’intérieur, les canalisations qui larmoyaient, la matière toute entière qui bourdonnait de quelque force roide. Il y avait cette résonance qui venait des soubassements de la maison, comme un tambour étouffé, quelque chose de mat. Peut-être bien que les pièces tentaient de nouer un lien, tentaient de se faire parvenir des informations, tentaient de se parler. Discours nocturnes, le bois qui se relâche. À la rumeur organique de la demeure s’ajoutait la respiration douce de sa femme et ce rythme lymphatique, qu’en d’autres moments il aurait pu trouver charmant, se transformait en une gêne presque palpable, qui lui vrillait les reins, qui lui faisait bondir le cœur. L’homme était nerveux, comme à chaque veille de vernissage, comme à chaque fois qu’il devait quitter la demeure. Il savait que tôt ou tard il mettrait la main sur une boîte d’anxiolytiques, parce qu’il allait bien falloir dormir un peu. Il se dressa plusieurs fois sur ses coudes, le souffle court, la tête lourde. Il voulait résister, ne pas céder à la chimie trop ...
    ... vite, il était déjà tard, même pour lui. N’en prendre qu’un quart rendrait la journée à venir maussade, pâle comme un fond de baignoire. C’était une boucle sans fin, l’idée de ne pas dormir l’angoissait au plus haut point. Les cachets tuaient la peur, les cachets le détendaient. Depuis longtemps. Ces images quand il les avalait : des grains, des taches blanches sur un fleuve pourpre. Le drap découvrit l’épaule de sa femme, elle avait bougé, glissé sur le dos, sa poitrine se soulevait doucement. Il enviait sa quiétude. Son visage se peignait d’une grâce absolue lorsque la nuit venait. Elle bougeait dans son sommeil, à tourner, à tourner encore, presque une danse de minuit. Il appréciait qu’elle soit nue, aussi effleurait-il de la paume certaines parties de son corps ; c’était comme un jeu, ne pas la réveiller, juste posséder ses songes. Il y avait sur son cou, depuis peu, cette granularité particulière. Il n’aurait su dater exactement quand cela était arrivé. Le vieillissement venait ainsi, par petites touches, sans prévenir. Ça ne changerait rien ; il aimait sa femme, c’était la sienne. Depuis dix-huit ans. Du vent secoua les feuilles au dehors. Ses yeux se baladaient sans but dans la pénombre, ses yeux soulevaient des questions poussiéreuses. Pourquoi, par exemple, avait-il installé cette grosse horloge de bois qui scarifiait le temps à gros coups d’aiguilles, du temps régi par des mécanismes simples, du temps logique, coordonné ? Plus tôt, ils avaient bu du bon vin et dîné ...
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