1. Suspension


    Datte: 26/12/2018, Catégories: nonéro, mélo, nostalgie, amourdram,

    ... légèrement à l’abri du parc et de sa tiède tranquillité. Elle se massait la nuque en regardant le ciel. Le vent portait une rumeur pleine, comme un bon présage. La cime des arbres se courbait en un gémissement feutré. Ils n’avaient presque pas parlé. Il y avait peu à dire en vérité car tout l’avait été à un moment donné, au détour d’une situation ou d’une autre. La liste était maintenant exhaustive, les mêmes sérigraphies des mêmes sentiments, déclinées jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il se disait souvent qu’il ne fallait pas aller au bout des choses, que ça les tuait. L’horloge le rendait malade. Ses yeux fixaient les aiguilles qui mangeaient le cadran, il était vraiment trop tard pour les anxiolytiques. Quant aux somnifères - il eut une moue de dépit -, c’était démesuré. Il poussa sur ses talons, fit passer un deuxième oreiller derrière sa tête, regarda un moment une drôle de lumière jouer sur le plafond, décida qu’il en avait assez et se leva lentement. Il aimait la sentir dormir, il savait jusqu’à quel point elle pouvait supporter la tension du dehors. Sa femme était une forteresse, c’était la sienne. Le nœud dans le ventre ne le lâchait pas, sa bouche était sèche comme un sol de grenier. Il avait les jambes maigres, plus les années passaient et plus il les trouvait maigres. Il avait été fort autrefois, bien plus fort qu’aujourd’hui. Il sentait posément qu’il était malade, que quelque chose le rongeait de l’intérieur, quelque chose qui le rognait plus ou moins vite, plus ...
    ... ou moins durement, selon les jours. Mais n’était-ce pas le cas de tous ? Et pourquoi échapperait-il à la règle ? C’était une belle maison, un petit manoir, une grande demeure, au choix. De ce genre de fardeau qu’on se lègue comme si on ne pouvait rien en faire d’autre. Mais il aimait son odeur et ses bruits, ces brumes de temps qu’il lui plaisait de fendre, ça l’enveloppait, il y avait quelque chose en lui qui ne pouvait pas grandir ici. L’homme traversa le long couloir, tâchant méticuleusement de ne pas faire grincer les lattes de bois. Quelqu’un avait dit un jour : « Moins de temps tu passes sur une planche, moins elle a à s’en plaindre. » Il connaissait si bien la maison qu’il lui était facile d’effleurer le sol, comme ces hommes des lointains hémisphères qui semblaient voler sur des parterres incandescents. Il était né ici, dans cette campagne civilisée. Il avait conscience de sa fin, dans ce même endroit. La répétition des jours à l’identique était une chose qui le fascinait mais qui dégageait un paradoxe absolu dont il n’avait pas la clé. Il y avait cette suspension du temps, mais également une accélération du monde invisible, comme s’il voyageait dans un train immobile. C’est ce qu’il peignait : des couleurs, parfaitement semblables, des séries de toiles jumelles. Les gens aimaient ça. Ils y mettaient le prix. Il avait peur de mourir. Il avait peur du bruit au-delà des murs, à l’extérieur des haies du rectangle domanial. Sa femme dormait profondément, il le ressentait ...
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