1. Suspension


    Datte: 26/12/2018, Catégories: nonéro, mélo, nostalgie, amourdram,

    ... même en s’éloignant. Elle appartenait à l’endroit, elle faisait corps avec son histoire. L’escalier était large qui menait sur deux étages vers le froid corridor carrelé de noir, carrelé de blanc. Il y avait des gens qui travaillaient pour eux, des gens qui dormaient dans la dépendance au fond du parc. Des hommes et des femmes dont il ne comprenait pas la langue. Son esprit faisait tournoyer des pensées, il n’arrivait pas à en attraper la moindre, comme une méchante impression d’avoir trop fixé le soleil. C’était ainsi quand il était proche de quitter la maison. Une épreuve pénible, proche du vomissement. S’arracher à l’enceinte, franchir les portes. Cette idée de séparation lui était abominable, ça avait bien failli le rendre fou autrefois. Et certainement, aujourd’hui encore, il en sentait toujours la menace. Bientôt, il n’exposerait plus. Il avait froid aux pieds. Il aurait dû chausser quelque chose. La peur de la maladie sous ses formes les plus minuscules. Sa main longeait les rambardes boisées de l’escalier, il faisait claquer le bout de ses doigts sur la surface dure. Quelques fois aussi, il repliait sa main. Dans le corridor des bottes de pluie traînaient sur le sol. Il les enfila. Tic-tac, tic-tac. Trop d’horloges dans cette maison. Tout ce temps pour deux personnes. Il ne voulait pas d’enfant. Elle avait mis du temps à l’accepter. Elle ne l’acceptait toujours pas. Elle ne l’accepterait jamais. Il pénétra dans la cuisine, l’air était vraiment frais cette nuit. ...
    ... Des placards grincèrent, des tiroirs aussi, il trouva des allumettes. C’était une pièce qui n’avait pas changé depuis qu’il était enfant. Les mêmes casseroles cuivrées au mur, les mêmes tomettes blanches et grenat. Des losanges fêlés, là, juste sous les vermoulures usées de la grande fenêtre. Elle avait compris son choix, mais elle ne l’acceptait pas. Parce qu’il est rare qu’une femme l’accepte et que dans son cas, il n’était pas tombé sur ce type de femme. Mais elle l’aimait assez pour le supporter. Elle lui en voudrait jusqu’à sa mort. Cette tension faisait partie de leur vie. Il avait envie de café. D’une cigarette aussi. Mais pas de l’un sans l’autre. Il envisageait le fumet dans la cuisine comme une sorte de messe. C’était cohérent. Il sortit de la cuisine, laissant la cafetière grésiller doucement derrière lui. Traverser le grand salon, compter les clichés rivés dans de luxueux cadres sur le mur. Sa mère se tenant sur une dune à l’ombre des pins. Le vent qui bouscule ses longs cheveux noirs. Le grain brillant des Argentiques. Lieu inconnu, ne s’en rappelait pas. Il y avait tant de choses qui disparaissaient de son esprit, tant de détails qui s’évanouissaient inexorablement. Sa mère encore, les pieds dans les eaux fraîches de Campomoro. Dans le contrechamp, des petites barques de pêcheurs, des reliefs fracassés de soleil, une brume ciselée et chaude. La Corse, des reflets d’avant. Il ne s’y rendait plus. La peur du voyage, la crainte de voir l’île différemment. Sa mère ...
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