1. Poésie brodskyenne


    Datte: 06/01/2019, Catégories: nonéro, exercice, poésie,

    ... s’offusquent quand ils lisent mes poèmes auxquels ils ne comprennent RIEN : il n’y a que du désespoir et rien d’autre. Dans la vie d’un écrivain qui transpire et ressent la souffrance des pauvres types qui l’entourent, il n’y a et il n’y aura toujours qu’un putain de désespoir, et de quoi se faire sauter la tête, si la douleur devient trop forte. LA LUNE EST PLEINE La lune et pleine, et moi aussi… J’ai vidé la bouteille de gin et je regarde la rue déserte. Elle est belle cette rue, avec la lumière des réverbères qui se reflète sur les voitures et qui lui donne des airs de décor de cinéma… À travers ma vitre je regarde un film noir sans comédiens, sans dialogues, sans meurtres, sans rien, avec une bande originale jouée par leClodo’s Band qui beugle une sorte de yaourt que seuls peuvent comprendre les alcooliques. Ils beuglent la solitude de ceux qui n’ont plus rien et qui s’accrochent à ce rien pour qu’on ne le leur prenne pas comme on leur a pris tout le reste. Ils beuglent la colère de ceux qu’on veut cacher, qu’on ne veut plus voir et qui font tout pour qu’on les voie, conscients que le jour où on ne les verra plus ils seront morts pour de bon. Ils beuglent le désespoir, et rien n’est harmonieux dans leurs cris ; et leurs cris me touchent. La lune est pleine, et moi aussi… Et je m’avance sur le balcon pour hurler à la lune comme les coyotes comme les clochards, comme les pochtrons. Et mes hurlements deviennent le contre-chant du chant duClodo’s Band. Et dans l’immeuble en ...
    ... face les fenêtres s’allument, les têtes sortent et les gens se mettent à hurler à leur tour. Des hurlements désespérés qui voudraient nous faire taire. Et tout ce désespoir devient alors une fête immense pour mes clodos du coin de la rue qui applaudissent et qui saluent avant de partir ailleurs continuer leur tour de chant… La lune et pleine, et moi aussi… Mais le spectacle est réussi… ET ILS PAIENT POUR CELA… Ils sont plusieurs centaines à faire la queue devant le guichet pour obtenir le droit d’aller courber le dos un mois de plus devant leur patron… ET ILS PAIENT POUR CELA… Ils font la queue en baissant la tête et en grinçant des dents, en jouissant d’être devant ceux qui sont derrière et en haïssant ceux qui se trouvent devant. ET ILS PAIENT POUR CELA… Ils sont plusieurs centaines à faire la queue et à transpirer de colère et d’impatience, en nage et en rage, afin de se procurer le laissez-passer vers les contrées de l’esclavage du salarié. ET ILS PAIENT POUR CELA… Puis leur tour venu, ils dégueulent leur haine sur le pauvre type enchaîné derrière la vitre blindée qu’ils prennent pour leur bourreau parce qu’il encaisse un dixième de leur salaire en échange de leur soumission. ET ILS PAIENT POUR CELA… Ils dorment mal au milieu du bruit dans des appartements trop petits ; leurs gosses deviennent cons dans des écoles où ils n’apprennent RIEN D’ESSENTIEL. ils bouffent de la viande avariée, boivent du vin frelaté, cinq fruits et légumes emplis de pesticides chaque jour, se font ...