Ballerine
Datte: 14/01/2019,
Catégories:
ff,
Imaginez quelqu’un qui serait né, qui aurait grandi, qui aurait vécu depuis près de trente ans sur une île où un épais brouillard aurait constamment caché le soleil. Cette personne vivrait jour après jour dans ce monde terne et blafard sans que la lumière lui manque, sans que l’éclat des couleurs lui manque. On ne peut espérer quelque chose qu’on ne connaît pas. Mais tout au fond de cette personne, sans savoir pourquoi ou de quoi, elle pourrait ressentir un manque, un vide et avoir cette aspiration plus ou moins nébuleuse à combler ce vide. Cette personne c’était moi, Éliane. Ni désespérée, ni exaltée ou révoltée, je vivais une vie ordinaire, en suivant le courant, jour après jour, sans faire de vagues, au neutre. Quand j’ai décidé d’entreprendre ces cours de danse, je n’avais d’autre but que de me remettre en forme, pour suivre le courant, parce que je m’apercevais en me regardant dans le miroir le matin que mes rondeurs devenaient des lourdeurs et cela me déplaisait, comme il se doit. Je ne faisais pas cela pour plaire à un éventuel amoureux. Ma vie sentimentale n’avait pas été heureuse. Les quelques hommes que j’avais connus avaient réussi à me déplaire en très peu de temps. Quelques déceptions mais aucune peine d’amour. Je ne crois pas que j’étais capable d’amour et je dois dire qu’il n’y avait rien d’engageant à voir et entendre les diverses histoires d’amour des gens qui m’entouraient. Pour moi l’amour était une aberration, une perte momentanée du sens du réel. Quant à ...
... ma sexualité, elle était au diapason des autres plans de ma vie : au neutre. Il faut dire que je n’avais jamais été très attirée par la chose. Depuis l’enfance cela avait plutôt tendance à me rebuter. D’abord, mon père était un homme désagréable et violent. Je ne comprenais pas que ma mère accepte qu’il entre en elle pour y décharger le restant de violence qu’il n’avait pu déverser autrement sur elle ou sur nous. Puis au début du secondaire j’avais appris que lorsqu’un fermier amène un étalon ou un taureau pour l’accouplement, on appelle ça « la saillie ». Moi j’avais plutôt entendu « l’assaillie ». La pauvre femelle était assaillie. Moi, je voulais être aimée, charmée, pas assaillie ! Je n’ai rencontré malheureusement que des hommes qui voulaient m’assaillir. Suite à une annonce parue dans le journal local, j’avais donc téléphoné pour m’informer sur ces cours de danse où, était-il écrit, on faisait un amalgame de la danse classique et des danses africaines, arabes et polynésiennes. La voix de la professeure m’avait plu. Une voix chaude, posée, et les réponses étaient courtes, directes, sans fla-fla. Je m’étais inscrite. _________________________ Au début du premier cours, Jasmine, la professeure, nous avait parlé de sa démarche. Ancienne ballerine, elle avait poursuivi sa recherche sur le corps et le mouvement et en était arrivée à la conclusion qu’il fallait redonner au corps la place qui lui revenait, qu’il fallait arrêter de voir le corps comme instrument au service de, ...