Ballerine - Histoires de Sexe

Ballerine

... suis aperçue que je prenais plaisir à voir des corps différents, des corps avec des hanches, des seins, des rondeurs. Des corps différents, uniques, qui trouvaient leur propre rythme, leurs propres gestes. Après avoir vécu tant d’années auprès de corps tous semblables, tout allongés, sans hanches, sans seins, des espèces de marionnettes toutes interchangeables, ça faisait plaisir à voir. Il faut souvent dépasser les cadres étroits imposés par la culture du moment pour trouver le plaisir. Mais je ne vais pas t’expliquer toute ma philosophie de vie ce soir. Tu n’es pas là pour ça. Tu pourras juste écrire que je mets le plaisir au centre de ma vie, ça va suffire. Crois-tu que tu en a assez pour écrire ton article sur moi ?— Amplement, oui.— Alors ferme ton enregistreur et je vais te dire certaines choses que tes lecteurs n’ont pas besoin de savoir. Ils me croiraient un peu cinglée ! J’accepte volontiers. Je croyais que l’entretien était fini. Je suis heureuse qu’Éliane veuille poursuivre cet entretien de façon plus privée, qu’elle me fasse confiance. On se sent à l’aise ensemble. Le bon vin y est peut-être pour quelque chose. — Je vais te dire quelque chose d’assez spécial… Je vais te dire comment je prends mes décisions, comment je suis mon chemin : par la couleur. C’est peut-être là mon côté artiste. Je donne une couleur à chaque situation, à chaque proposition qu’on me fait. Quand la couleur qui me vient est le gris, le noir, le beige, le brun, je m’éloigne. Si par contre ...

... c’est le rouge, l’orangé, le vert, le jaune, le bleu, j’accepte. C’est rarement le blanc.— Je comprends mal…— Je te donne un exemple. La semaine dernière on m’a fait une proposition d’affaire. Alors que j’écoute la proposition, il me vient en tête ou au corps du brun strié de noir. Alors je ne prends pas le temps de réfléchir. Je refuse. Ce n’est pas le mental qui prend la décision, c’est mon corps, c’est le ressenti de mon corps. Le corps ne se trompe jamais. C’est drôle, j’ai appris à voir en couleur, je vois les gens en couleur, je vois tout en couleur. Je choisis la nourriture en fonction de la couleur qu’elle me provoque. Je choisis mes vêtements de la même façon. Je ne les choisis pas nécessairement pour la couleur qu’ils ont mais pour la couleur qu’ils me provoquent. Tu dois me croire totalement dérangée, non ? J’étais complètement sous le charme de Jasmine. Je buvais ses paroles sans me demander si ce qu’elle me disait avait du sens ou non. Je crois que j’étais dans un état de « blanc-doré ». Jasmine reprit : — Moi, je veux le bleu. Toute ma vie est axée sur le bleu. C’est un choix, c’est mon choix. Tu as peut-être remarqué, je porte toujours sur moi un bijou en lapis-lazuli, un pendentif, une bague, une chaîne sertie de lapis à ma taille pour certaines danses. Je porte du bleu, du ciel. Je veux constamment me rappeler de recevoir et d’envoyer du bleu, du calme, de la douceur de vivre, du bien-être. Les religieux portaient la croix, la souffrance. Moi je porte la paix du ...