Origami
Datte: 31/01/2019,
Catégories:
hagé,
ascendant,
mélo,
nostalgie,
portrait,
... une lumière s’était éteinte. Ils se sont efforcés de garder de bons contacts entre eux, de conserver un semblant d’unité familiale, pour que cette déchirure ne me détruise pas. Ils y sont assez bien arrivés. Jusqu’à ce que je puisse me débrouiller seule dans la vie et que je parte, en portant le poids de leur mésentente sur mes épaules. Sur les épaules de l’enfant que je ne suis pas arrivée à laisser derrière moi au moment de refermer la porte de la maison où j’étais née. oooOOOooo Ce satané bout de papier ne m’était plus revenu à l’esprit jusqu’à aujourd’hui. Je ne savais même pas que mon père l’avait gardé après la débâcle qui avait suivi sa découverte. Je me demande ce qui a pu le pousser à le ressortir aujourd’hui. Depuis que la maladie lui fait perdre son autonomie, il passe plus de temps devant sa télévision qu’à mettre de l’ordre dans ses affaires. Il savait pourtant que j’allais passer le voir cet après-midi. Le sommeil l’a-t-il surpris avant qu’il ait le temps de ranger ses secrets ? Voulait-il se servir de cette coïncidence pour me parler de cette vieille histoire ? Je reste médusée au centre de la pièce, flairant le piège. Tout ce que je n’ai pas compris, toutes les larmes de mon enfance et de mon adolescence ont peut-être une explication dans cette liste de prénoms. Dois-je attendre que mon père se réveille, ou l’heure est-elle venue de déchiffrer seule ce rébus ? Tel que je connais mon géniteur, si je lui pose la question, il va l’éluder par une boutade, sans ...
... faire grand cas de mes sentiments. C’est sa manière de me forcer à m’ouvrir à lui. Tant que je ne parle pas, il fait semblant de ne rien savoir. Nous sommes du même bois, alors je me tais, nous nous taisons. En fait, chaque fois que je viens le voir, maintenant que la maladie le diminue et que je le sais souffrir, nous ne parlons pas vraiment de choses importantes. Nous passons simplement un moment ensemble, effleurant quelques souvenirs du bout du cœur. C’est sa manière de dire qu’il m’aime. Je me suis accommodée de cette pudeur des sentiments. J’ai appris à savoir qu’il m’aimait, plutôt qu’à le ressentir entre ses bras ou sous son regard. Un frisson me parcourt et me fait sortir de mes pensées. Je réalise qu’il ne dort pas vraiment. Il me regarde les yeux mi-clos, immobile. Il sait que j’ai vu le papier. Il faudrait qu’il m’aide, qu’il accepte d’avancer un de ses pions. Il ne le fera pas. Il m’a éduquée par le biais de cette solitude qu’il installe par son absence de réaction. Il est là, mais cela n’aide en rien. Je dois fuir ou faire face. Dans les deux cas, je dois me débrouiller seule. C’est la règle depuis toujours avec lui. Sauf qu’aujourd’hui, je ne reculerai pas. Je pose mon regard sur le papier froissé. Il est divisé en cinq lignes entrecoupées de quatre colonnes. Le prénom de ma mère se trouve dans la case tout à droite de l’avant-dernière ligne. Plusieurs prénoms de femmes sont inscrits dans les autres cases. Trente-six exactement. Deux prénoms sont mentionnés à deux ...