Le dernier des Grizziera
Datte: 10/02/2019,
... l’impression que tu me retiens en otage. C’était drôle au début, je croyais vraiment que tu voulais oublier l’accident, prendre un peu de bon temps, t’amuser pour oublier. Tu as toujours été comme ça, tu cherches les belles choses pour oublier le présent. Mais regarde-toi, tu ne veux plus que la route, la route, et encore la route. Et regarde-nous, et cette sale voiture dans laquelle nous dormons depuis plus d’une semaine. À manger tes conneries de Mars et de Kit Kat, à écouter les mêmes morceaux inlassablement. Je n’aime pas ta musique, il faut que je te le dise, Gabriel, je n’aime pas ces trucs sombres qui t’excitent tant. Ça te regarde, je n’ai rien à faire là-dedans. Elle avait continué à laisser sortir sa colère, ça avait duré longtemps, jusqu’à ce qu’il lui dise de se taire, une fois, deux fois, et elle qui continuait de se plaindre et de sangloter. — C’est l’argent qui te manque, salope. Et il avait aussitôt regretté ces mots absurdes qui sonnaient si mal dans sa bouche, pourtant il avait poursuivi, sombre inclinaison. — C’est juste mon blé que tu veux, les jolies pouffiasses comme toi, c’est tout ce qu’elles veulent. Une vraie mouche à merde, voilà ce que tu es. Il l’avait saisie au cou, arrachant la chaîne en or blanc et le diamant aux teintes de sang qui y pendait. Elle avait hurlé, comme s’il lui déchirait un membre. C’est son rire à lui qu’il entendait, tandis que les insultes fusaient. N’avait pas aimé la remarque sur la musique qu’il écoutait. N’espérait plus ...
... que du silence pendant qu’il conduisait. Rien d’autre, et que ça dure pendant des jours et des jours encore. Pourquoi fallait-il qu’elle la ramène maintenant ? — Regarde cette pluie, regarde comme c’est beau, avait-il hurlé. Et puis il l’avait frappée. Et elle s’était débattue. La voiture avait frappé la rambarde, fait un cercle dans l’air, giclé sur l’herbe humide du bas-côté. Tôle explosée, crâne fracassé. Les yeux vides de Léane l’avaient fixé un long moment avant qu’il ne détourne le regard. Le pare-brise rougeoyait sous la pluie fine. Étrangement, les essuie-glaces continuaient de fonctionner. Gabriel n’avait rien, absolument rien. Et il se souvenait encore aujourd’hui avoir touché son torse, puis ses jambes, plusieurs fois sans bien y croire. La télévision grésillait. Gabriel faisait défiler des centaines de chaînes. C’était important d’avoir du bon matériel. Il la regardait à outrance, câblé jusqu’à l’évanouissement des ondes. Depuis son lit, il pouvait perdre toute notion du temps des heures durant. Ça le rendait dingue. Certaines fois, son pouce était rougi d’avoir trop pressé les touches. Il pénétrait des pays inconnus, des mots étranges virevoltaient en son corps. Devenait un réceptacle pur, dépouillé de toute espèce de jugement. On l’avait porté. Des heures s’étaient écoulées avant que les secours n’arrivent. Il était trempé et transi de froid. Durant cette longue attente, ses yeux étaient restés plongés dans ceux de Léane. Il était sûr d’y lire quelque chose, si ...