1. Le dernier des Grizziera


    Datte: 10/02/2019,

    ... simples meublés que la route dispersait devant eux. Et son sourire à elle s’était doucement éteint. Plusieurs fois, il avait appelé ses grands-parents, une fois dans la Drôme, une autre depuis un petit hôtel familial des Cévennes. Le ton s’était fait plus menaçant, l’orage perçait entre les mots neutres et distants de Louis Grizziera. Il repoussait l’échéance du retour, refusait de discerner dans le comportement de Léane autre chose qu’une simple humeur passagère. Il n’aurait eu qu’à effriter le diamant du bout des ongles pourtant, et la boue se serait déversée de son sein. Mais tant qu’il resterait de l’essence dans le réservoir, il continuerait sans poser de questions. En presque deux mois, ils avaient parcouru près de treize milles kilomètres, sillonnant la France en chacune de ses extrémités, se perdant dans les brumes de la pointe du Raz, marchant des heures sur des plages normandes brisées de tristesse. Peu de temps avant, le sud les avait lassés. À cette époque, la lumière n’y était pas encore cette combustion qui fige l’été, ni la pierre cet éclat brut et blanc qui réchauffe la mer. Le soir tombait dans l’océan. Ce qui voulait dire que la période la plus pénible de la journée s’achevait, et il en éprouva de la satisfaction. On lui servit le café dans les règles. Son crâne bourdonnait d’avoir dormi tout l’après-midi. Il détestait ce moment, cette lente agonie du jour l’ennuyait. N’avait jamais su trop quoi faire en ces heures bâtardes. Alors, dormir n’était ...
    ... finalement pas la pire des solutions. Son rythme, au fil des années, s’était doucement aligné sur ce rejet. Il paya son dernier plein dans une station près de Rennes, se demandant bien ce qu’il faisait là, et si ça n’était pas un bien mauvais écueil pour s’échouer. La voiture n’était plus qu’une poubelle ambulante, des détritus jonchaient le sol, de la nourriture avait séché sur la banquette arrière, une odeur de poulet grillé persistait à alourdir l’atmosphère. La nuit bretonne était ce qu’elle devait être, une chose soumise à un crachin froid, noyant la visibilité. Ils reprirent la route, Gabriel enfournant un des derniers Mars qui restaient dans le paquet. Bientôt ils n’auraient plus rien à manger. Une radio locale jouait un morceau deDinosaur Junior, ce qui en soi était plutôt étonnant à cette heure-ci et dans ce pays. Il monta le son. La « deux voies » qui servait d’autoroute était presque déserte. De temps à autre, en sens inverse, des phares déchiraient la nuit mouillée. Au bout de quelques kilomètres, Léane se mit à pleurer. Il se rendit alors compte qu’il l’avait complètement occultée du champ de ses réflexions depuis qu’ils avaient quitté la station-service. Il prit conscience de la décrépitude de ses vêtements tandis qu’elle parlait sans chercher le dialogue. Longue litanie qui se perdait dans les feux de croisements des rares voitures en sens inverse. — Je veux renter Gabriel. Ça ne m’amuse plus, j’ai une vie normale ailleurs, chez moi. Mes parents m’attendent, j’ai ...
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