Le dernier des Grizziera
Datte: 10/02/2019,
... grand-père. Il y eut un blanc, il se sentait si fatigué d’un coup. Les rides épaisses de son grand-père se dessinèrent doucement alors qu’il tournait son visage vers la large fenêtre. — Tu le sais bien, c’est ma petite amie.— Petite amie, hein ? C’est comme ça que l’on dit encore aujourd’hui.— Eh bien quoi ? Le vieil homme se saisit de la main de son petit-fils, avec une douceur qu’il ne lui connaissait pas. Lentement, il lui caressa le poignet. — Il n’y a pas de Léane, Gabriel. Tu étais seul. Dans la voiture qu’ils ont retrouvée. Tu étais seul. Et à ma connaissance, tu n’as jamais eu de petite amie. Les vagues au-dehors le tirèrent de son demi-sommeil. La nuit était toujours là. C’est une bonne chose, pensa-t-il en se levant du lourd fauteuil de cuir sur lequel il s’était assoupi. Les souvenirs revenaient avec une régularité froide. Presque un ressac, et chaque vague laissait derrière elle une écume amère qu’il avait peine à dissiper. Ne comprenait pas bien d’où venaient ces idées. Il se rappelait avoir vu son grand-père à l’hôpital. Et, oui, il lui avait bien tenu ce discours étrange larvé d’inepties. Léane n’existait pas, n’avait jamais existé. Tout ça n’avait aucun sens, et il le lui avait fait savoir. Avec virulence. Il appuya sur la touche de son talkie-walkie. C’est Hector qui répondit. Voix terne. Voix fatiguée. — Oui, Monsieur.— Amène-moi de l’eau.— Laquelle, Monsieur ?— Peu importe, veille à ce qu’elle soit bouchée.— Comme d’habitude, Monsieur. Il fit les cent pas. ...
... Ça tourbillonnait dehors. Avait perdu la notion du temps. Quelle heure pouvait-il bien être ? C’était le problème avec ces cieux bas, le jour devenait la nuit. Impossible de dissocier quoi que ce soit. Il ressentait une rage brouillonne, les mots de son grand-père griffant son esprit aussitôt qu’il lui semblait tenir un répit. Il frappa dans un mur jusqu’à faire saigner son poing. La vision lui arracha un haut-le-cœur. Détestait les blessures. Détestait la maladie. Détestait toute cette merde. Il avait relâché la main de son grand-père. — Qu’est-ce que tu racontes ?— Elle n’existe pas. Tu as ce problème depuis longtemps, Gabriel. Tu sais, cette maladie au fond de ta tête. Il faut que tu continues à te soigner, c’est important. Tu es le seul. Le seul qui me survivra.— Tu mens.— Non, et Dieu sait que j’aimerais.— Elle m’a rejoint à l’enterrement de maman et papa.— À Clermont-Ferrand ?— Eh bien oui à Clermont-Ferrand !— C’est là que nous avons retrouvé ta trace. On nous a signalé un intrus lors d’un enterrement.— Comment ça un intrus ? coupa Gabriel.— Tu fais souvent ça, Gaby. Aller à des messes, t’incruster dans des enterrements. Chercher ce que tu ne retrouveras jamais. Ils avaient secoué la tête tous les deux. Pour des raisons bien différentes. — Tu veux dire que ce n’étaient pas mes parents qu’on enterrait à Clermont-Ferrand ?— Non.— Comment as-tu su que j’y étais alors ?— Nous avons un homme, un homme qui te suit partout. Pour éviter ce genre de problème. Mais il a perdu ta ...