1. Le dernier des Grizziera


    Datte: 10/02/2019,

    ... ferait tout pour qu’en apparence Gabriel la trouve, lui. Quand ils furent rentrés, Louis demanda aux deux infirmiers qu’il employait depuis des années de veiller particulièrement à ce que Gabriel ne ressorte plus durant les prochains mois. Il allait connaître une phase de régression, comme après chaque sortie depuis qu’on avait repêché les cadavres de ses deux parents au large des côtes de Calvi. Ça faisait si longtemps maintenant, et le malheur de Gabriel avait emporté le sien, celui qui se nourrissait de la perte du fils unique. Alors, il avait fermé l’hôtel, connaissant l’attachement de son petit-fils à ces lieux chargés de leur histoire. Il n’irait pas dans un hôpital, si luxueux soit-il. Il resterait là, auprès des siens. Mais très vite, il avait fallu faire le vide autour de lui, il se blessait avec des objets, développait de nouvelles phobies, jusqu’à refuser de s’alimenter pendant plusieurs jours, craignant la présence trop affective des quelques proches. Il évitait leur contact, leur chaleur, leur odeur. Les murs le gênaient, il se cognait dedans. À faire gicler ses arcades sourcilières. À se démettre les épaules. Sa grand-mère était morte à cette époque d’aggravation, reprochant à Louis, jusqu’à son dernier souffle, de ne pas l’avoir fait soigner plus sérieusement. — C’est le dernier d’entre nous, avait-il répondu une fois de plus. Je saurai quoi faire. Mais jamais il n’avait su. Ses infirmiers le saturaient de tranquillisants, limitant les doses quand son état ...
    ... s’améliorait légèrement, et temporairement. C’était à ce moment que les choses devenaient dangereuses. Gabriel sortait, toujours en quête d’un enterrement, comme lors de cette escapade dix ans auparavant à Clermont-Ferrand. Ça avait duré longtemps, presque deux mois. Un moment même, il l’avait cru guéri de ce mal étrange. Mais à parler de cette Léane qui n’existait pas, Louis avait vite compris que ce n’était qu’une fuite en avant, une de plus, mais une sérieuse. Depuis, les sorties s’étaient faites plus rares, se réduisant notamment dans leur durée. Au mieux, ça tenait une demi-journée, et ça n’allait plus bien loin. Ce qui en soi n’était pas une très bonne nouvelle. Hector et Victor jouaient le rôle du personnel de maison sous les ordres de Victoire, fidèle d’entre les fidèles. Hector et Victor jouaient aussi le rôle des responsables des deux grandes entités du groupe censés prendre leurs instructions auprès de Gabriel. Hector et Victor jouaient tous les rôles. Louis leur devait beaucoup. Louis les payait grassement. Le vieil homme n’en avait plus pour longtemps. Encore ce matin, il avait craché du sang lors d’une vilaine quinte de toux. Mais Gabriel ne devrait pas souffrir, jamais. L’argent et les médicaments lui épargneraient la violence du monde extérieur. Il était mieux là, à l’abri. Que la lignée s’éteigne dans le calme. Sans douleur. Hector dit : — Ne vous en faites pas, Monsieur Grizziera, nous serons vigilants.— C’est le dernier d’entre nous, c’est important. Et le ...