Le dernier des Grizziera
Datte: 10/02/2019,
... éclairé par quelques veilleuses de la promenade et du casino, et plus loin de l’hôtel du grand palais, il prit des jumelles posées sur une petite table devant la baie, nettoya les embouts avec de l’alcool, sécha l’humidité du plastique à l’aide de compresses stériles sorties d’un sachet de papier clos. Il avait eu un orgelet, longtemps auparavant. Comprenez, ce ne sont pas des choses très agréables. L’océan, dans la nuit sans lune, était déchaîné. Même en grossissant au maximum sa vision, il n’en percevait presque rien. Le fracas blanc de l’écume ici et là. Les formes plus sombres encore des rochers affleurant la surface entre deux puissantes giclées. Plus loin, à l’est, sur le sommet de la pointe Saint-Martin, le phare projetait sa puissante lumière aux deux éclats blancs à intervalles réguliers. On disait qu’on pouvait les voir jusqu’à près de cinquante kilomètres. Son grand-père lui avait raconté son histoire quand il était petit, il devait avoir dix ans, le faisant sauter sur ses genoux, et lui qui lisait dans les yeux déjà vieillis une tendresse qu’il devinait déjà exclusive, interdite aux autres de la famille, et inconcevable pour ceux qui travaillaient pour lui. Un homme dur son grand-père. Le phare était situé à soixante-seize mètres au-dessus du niveau de la mer, il y avait deux cent quarante-huit marches et il avait été bâti entre 1830 et 1832. De son sommet, on dominait les Pyrénées jusqu’au sud des Landes. « Rends-toi compte, Gabriel ! Plus de cent cinquante ...
... ans qu’il subit le vent, la tempête, les embruns ; que les vagues viennent lui lécher les pieds et qu’il est toujours là, vaillant, aussi étincelant qu’avant dans le soleil. C’est important, la constance. Tu comprends, petit ? C’est comme la famille, comme ces liens du sang, rien ne les remplace, rien ne les terrasse, même pas la mort. Comprends-tu ? » Il hochait la tête, sans bien saisir, mais au large sourire qui se dessinait dans la barbe sèche de grand-père, il devinait que cela était bien et juste. Après l’enterrement, il avait pris un taxi pour Clermont-Ferrand où il avait retiré de l’argent. Combien, il ne s’en rappelait plus exactement, une forte somme en tout cas. La fin de l’hiver se chargeait déjà des effluves prometteurs du printemps. Un arrière-goût boisé, une chaleur discrète. Il avait appelé Léane. Elle semblait encore fâchée qu’il ne l’ait pas conviée à l’enterrement. N’était-elle pas sa petite amie ? Ne devait-elle pas être là pour lui ? C’était un moment important, elle aurait dû être présente. Il la laissa vider son sac, contemplant le jour teinter les montagnes arvernes de mauve et de bleu. Il avait envie d’écouter un morceau deDead Can Dance. Un de ces trucs intemporels et profonds qui prennent tout leur sens en province, hors saison, dans les brumes froides de contrées âpres. C’était le cas, pour le coup. Mais seule la voix aiguë de Léane labourait son oreille, puis l’autre, à mesure qu’il contorsionnait son cou pour souffler, échapper à ce flot de ...