Jeux de miroirs
Datte: 13/02/2019,
Catégories:
sf,
fantastiqu,
merveilleu,
fantastiq,
merveille,
Dix ans… Dix ans déjà que tu es partie, ma douceur, ma si jolie. Dix ans que je t’attends. Mais combien de temps s’est écoulé à Saint-Quelque-Part-d’Ailleurs ? Quand Manuel est parti dans Les Territoires, quelques heures seulement s’étaient écoulées de ce côté du miroir. Pourtant son séjour dans les Territoires avait duré tout un jour. Soit un rapport au dixième à peu près. Mais rapport variable, selon lui – il parlait d’instants lourds et d’instants légers pour qualifier le rapport fluctuant, imprévisible, entre le temps du Pays des Fées et le temps de notre monde. Le temps de ce côté-ci du miroir. Au cours de ces dix années, j’ai lu quantité de légendes faisant référence aux Territoires : une manière pour moi, la seule, de te suivre dans cet ailleurs, Marie-José, ma petite fleur… Je me souviens… En gare de Valence, 28 mai 1944. Quatre heures du matin. Le rapide qui me ramenait de Marseille a sauté sur une mine entre Montélimar et Valence. La charge a explosé juste sous la machine qui a roulé en bas du remblai, entraînant le fourgon et les cinq premières voitures. Le mécanicien et le chauffeur ont été tués, de nombreux voyageurs blessés. Les maquisards qui avaient miné la voie ont visité le train, mitraillette au poing. Ils cherchaient des miliciens, ils les ont trouvés et emmenés. Aux petites heures du jour, un train de secours nous a conduits jusqu’à Valence. Au lever du jour, quelque part au-delà de Lyon. Les vieux wagons se traînent de gare en gare dans la lumière ...
... blême du petit matin. Un officier allemand, des soldats casqués sur un quai. L’officier regarde vaguement les voyageurs, les soldats ont l’arme à la bretelle. Spectacle quotidien d’un pays en guerre. J’ai faim, je flotte entre veille et sommeil. Cafardeux, malade, le moral en berne et la tripe sanguinolente. Rêves décousus, fatigue. Sonia est morte. Il me faudra du temps pour l’accepter. Juste avant de mourir, elle m’a parlé enfin de mon père, de mon vrai père, de Jacques Roll qui l’a abandonnée, à vingt-deux ans, un bébé dans les bras. Je suis donc le fils de Jacques Roll, du «mage » Jacques Roll : charlatan de haute volée, homme mystère, traître à son pays, tout à la fois. À Madrid, un écossais ivrogne au nom impossible, Maxie Maggiddle, ancien associé de Roll s’il faut l’en croire, m’a laissé entendre que le «mage » pouvait s’être réfugié en Afrique du Nord, probablement à Alger. Il m’a même fourni un contact là-bas, un nommé Chapuis : vaguement branché sur les réseaux de la Résistance, en relation avec les milieux pro-nazis. Rien d’un idéaliste. Chapuis se montre d’abord méfiant puis devient un peu plus bavard en apprenant que Jacques Roll est mon père. « Cet homme-là, je vais te dire, mon petit : je n’ai toujours pas l’impression de le connaître malgré tout ce que nous avons pu vivre ensemble. » Mais il n’a pas pu ou pas voulu me dire l’essentiel : où joindre Jacques Roll. Tout au plus a-t-il pu me fournir une nouvelle piste : « Une maison dans le golfe du Morbihan. Te dire ...