1. Le Pédoncule de l'enfer...


    Datte: 21/06/2019, Catégories: jardin,

    ... de « Claude Lévi Strauss » ironisait-il pour lui-même, les « sauvages » le fascinaient. Il leur reconnaissait une sagesse réelle, aux antipodes de celle de ses amis « civilisés ». Leur calme, leurs croyances naïves mais non dénuées de fondement, leur bonne humeur, leur sens de l’hospitalité, donnaient à leurs existences une sorte d’ancrage dans une vie ou l’on prend encore le temps de regarder, de sentir, d’écouter, d’utiliser enfin ses cinq sens, ceux-là même que l’on a tendance à oublier lorsque soi-disant « On ne manque de rien ». Il n’y avait pas de lutte de pouvoir entre eux. Chacun jouait un rôle bien déterminé dans la société, sans jalouser la place de son voisin. Le partage allait de soi et les fêtes, toujours animées, s’inscrivaient tout naturellement dans la consolidation des liens entre les individus. C’est au cours d’une de ses nombreuses escales qu’il rencontra un jour un curieux personnage. Au sud de l’Inde, plus précisément près des plages de Goa. Un brahmane discret, la plupart du temps silencieux, grand expert et amoureux, un peu comme son père Antoine, des plantes exotiques préservées de l’Andhra Pradesh. Il cultivait, lui aussi, un immense jardin. Après des heures de silence passées en sa compagnie, Julien lui raconta l’histoire du « Pédoncule de l’enfer » qui sévissait toujours sans doute, dans les vestiges du jardin de son père. Le vieux brahmane, tout maigre et tout ridé – comme on imagine toujours les vieux brahmanes hindous – hochait la tête en ...
    ... silence, intéressé. Fixant intensément le jeune homme, il réfléchit encore un long moment après que Julien se soit tu, et il dit : — Je connais cette plante. Cette graine, car c’est bien d’une graine qu’il s’agit, peut vivre des années sans aucun soin particulier, développant peu de racines sous terre. Seule une fine tige commune la dévoile dans la végétation, et seul un œil exercé peut l’apercevoir. Un jour cependant, elle se décide à croître. On ne sait pas quand ni pourquoi. Elle pousse, parfois très tôt après son apparition, mais aussi parfois au bout de 10, 20, 30 années d’inactivité. Ce qui est certain, c’est qu’elle finit toujours par se développer. Un jour, elle se met à grandir, c’est tout. Je ne pourrais pas te dire pourquoi, mais c’est ainsi.— Comment sais-tu cela ?— J’en ai une, dans mon jardin.— Pourrais-je la voir s’il te plaît ? Pour vérifier s’il s’agit bien du « Pédoncule de l’enfer » de mon père ?— … Pédoncule de l’enfer ?— Mon père l’appelait ainsi.— Pourquoi ? dit le vieil homme intrigué et semble-t-il mécontent. Ce que Julien perçut instantanément.— Parce que… ce pédoncule était petit et moche. Il ne ressemblait à rien. Mon père l’a arraché plusieurs fois, pensant à une mauvaise herbe quelconque. Mais elle ne voulait pas disparaître. Elle repoussait toujours au même endroit et s’arrêtait de croître dès qu’elle émergeait de terre. Alors, il l’a baptisée ainsi. Cette anomalie, dans son jardin qu’il chérissait, l’a turlupiné tout le reste de sa vie.— Ton père est ...