1. Les lundis de Cendrillon, ou le grand théâtre du désir (1)


    Datte: 03/07/2019, Catégories: fh, fplusag, jeunes, copains, profélève, volupté, journal,

    « C’était formidable, formidable ! Pas de fausse modestie, s’il te plaît, accepte nos compliments !» « Vraiment, je suis épatée, Valérie, je n’aurais jamais pensé qu’avec si peu de moyens, vous feriez quelque chose d’aussi réussi ! J’espère que vous allez continuer ! » « Bravo, tout simplement. Vous nous avez épatés ! » Mes oreilles bruissent encore de ces messages de sympathie, de ces témoignages d’admiration, qui m’ont fait rougir, et rougir d’autant plus que j’étais suffisamment lucide pour les savoir mérités. Frédéric, mon mari, était là, lui aussi, qui m’a tenu la main pendant toute la soirée et qui m’a murmuré combien il était fier de moi. C’est vrai que le spectacle était réussi. Et pourtant, quand j’ai entrepris de mettre en scèneHuis-clos avec quatre de mes élèves de terminale, je revois encore la moue dubitative de mes collègues et de Madame le proviseur… « Vous savez, Valérie, qu’il est conforme à la politique de l’établissement d’encourager les initiatives culturelles, mais tout de même, une pièce de Sartre, aussi longue, avec des lycéens qui n’ont jamais pratiqué de théâtre, je crois que vous mettez la barre un peu haut, non ? Pourquoi n’essaieriez-vous pas plutôt une pièce plus courte et plus légère ? » J’ai eu beau lui dire, à la navrante Madame Boucher, que j’avais choisi Sartre parce que la pièce s’intégrait merveilleusement dans la préparation du bac de philo (« Je vous rappelle que la question d’Autrui est au programme… »), elle s’est contentée de me dire : ...
    ... « Eh bien, si ça vous amuse, je vous donne une salle ; mais vous êtes jeune et croyez en mon expérience, votre projet va capoter au bout de trois semaines ! » Et voilà, les trois semaines se sont transformées en six mois. Trois heures de répétition hebdomadaires dans une salle vétuste, pas un rond pour les décors et les accessoires, rien que l’inépuisable bonne volonté de mes trois élèves, et nous croulons sous les félicitations. Et naturellement, Madame Boucher est là, qui, avec un culot d’acier, empoche aussi quelques dividendes : « Vous savez, dès que Valérie m’a parlé de son projet, je l’ai encouragée. Je lui ai dit qu’elle pouvait compter sur le soutien du lycée pour une initiative aussi originale… ! » Allez, va, monte-toi le col si ça te fait plaisir. Je suis tellement heureuse et fière que rien ne peut troubler ma joie. Rien ne compte, sinon le visage de mes trois élèves, encore rouge de leur performance, et qui me regardent avec une reconnaissance infinie et une espèce de tendresse, de complicité aussi, cette complicité née de ces mois de travail acharné, de ces souffrances et de ces joies, de ces moments de découragement et de ces instants d’exaltation, des coups de colère et des fous rires… Je les observe… Hélène, qui n’avait pas la partie facile avec le rôle d’Estelle, cette mondaine aux mœurs légères, menteuse professionnelle, qui provoque le suicide de son amant et tue son propre enfant. Elle s’en est pourtant sortie avec une suprême élégance, jouant à merveille ...
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