Les larmes d'Antigone
Datte: 24/07/2019,
Catégories:
copains,
nonéro,
portrait,
Collègues / Travail
... je vais te donner un coup de main pour cela, tu ne devrais pas t’y prendre comme ça… Sur le principe, c’est plutôt gentil mais ça m’horripile au plus haut point et malgré mes bonnes résolutions, je ne peux pas m’empêcher de lui demander de s’occuper de ses oignons. Je n’ai pas refermé la bouche que je regrette déjà ce que je viens de lui dire. C’est sûr, elle va me refaire le coup de la colère homérique, les noms d’oiseaux vont voler bas, les portes vont claquer et je vais en être quitte pour mon explication. Et tout cela, c’est sans compter sur pisse-vinaigre qui va sûrement en rajouter. Mais Élodie ne crie pas. Elle a soudain l’air très triste : — T’es vraiment pas sympa. Je fais tout pour être agréable avec toi et voilà comment tu me parles ! Tu es incapable de te comporter normalement avec les gens. Touché. En plein cœur. Je m’attendais à tout sauf à cela. Je m’étais préparé à la guerre et elle vient à moi avec des fleurs ! Je la regarde, l’air idiot, ne sachant que répondre. — Tu veux que je te dise, tu pourrais être un mec super mais tu es un handicapé de la relation sociale ! C’est désespérant ! Tu n’en as pas marre d’être toujours en marge des autres, de vivre ta vie en noir et blanc ? Coulé. Je suis KO, terrassé par un uppercut en plein ego. En quelques secondes, elle m’a jeté à la figure tout ce que j’essaye de refouler depuis des années. Toutes les solitudes de mon enfance, tous les copains que je n’ai jamais eus, toutes ces différences que je ne comprends pas ...
... se mettent à hurler en moi. Elle vient de déclencher un cataclysme dans ma tête et je ne sais plus si je dois lui sauter à la figure toutes griffes dehors ou tomber dans ses bras en pleurant. Je reste immobile, anéanti pendant que, doucement, sans faire de bruit, sans dire un mot, Élodie sort du labo. Pourquoi m’a-t-elle dit cela ? Et comment peut-elle savoir ? Elle n’a quand même pas le don de se promener dans mon inconscient ! — Mickael ? Je sursaute. C’est Anne-Sophie qui s’adresse à moi. Je crois bien qu’elle ne m‘avait jamais appelé par mon prénom, je n’étais d’ailleurs même pas sûr qu’elle le connaisse. — N’en veux pas à Élodie, elle ne dit pas ça pour te faire du mal, elle voudrait juste t’aider un peu. Elle s’interrompt quelques instants, puis reprend, d’une voix très douce que je n’avais jamais entendue : — On doit passer la journée de dimanche toutes les deux au bord de la mer. Est-ce que tu accepterais de te joindre à nous ? Je crois qu’on a beaucoup de chose à se dire. Pour la première fois, Anne-Sophie me regarde en parlant. Ses yeux sont magnifiques, avec un regard franc, profond, troublant, qui me pénètre jusqu’au fond de l’âme. — Ce serait vraiment chouette, ajoute-t-elle. Tu veux bien nous faire plaisir ? Dans un accès de violence insoutenable, Élodie venait de déchirer le manteau patiemment tissé depuis mon enfance pour me protéger de ce monde imbécile et cruel que je refusais d’affronter, me laissant sans défense face à une réalité obstinée qui prenait ...