1. Le voleur d'âmes


    Datte: 09/10/2019, Catégories: nonéro,

    ... demander. Il la dévisagea, l’expression grave. Elle le fixa à son tour. La table blanche se réverbérait comme un miroir sur sa figure, accentuant affreusement la profondeur de ses cernes et la multitude de ses rides. Pour la première fois, Liana se demanda sérieusement quel âge il pouvait avoir. Entre quarante et cinquante-cinq ans, décida-t-elle. Puis soudain, elle se dit que le même phénomène de réverbération devait se produire avec ses cernes à elle et un brutal embarras la fit se rejeter en arrière dans sa chaise. – Je suis désolé de ce que je vous ai dit la dernière fois, continuait-il, imperturbable. Sur l’argent, et aussi sur le fait que vous m’ayez menti, que vous seriez obligée de me dire la vérité. Vous ne me devez rien, vous aviez raison. Moi aussi, je me suis emporté. J’ignore encore pourquoi, mais je voulais m’excuser auprès de vous. Elle le considéra en silence, surprise. – J’accepte vos excuses, dit-elle d’une voix hésitante. Et vous savez… pour votre question de tout à l’heure… je veux dire, ce que je faisais avant. J’étudiais dans une école de graphisme, à Paris. M Tomaze battit rapidement des paupières, étonné de cette confidence, puis ses yeux s’étrécirent jusqu’à devenir de minces fentes, d’où s’échappait une lueur à la fois étrange, inquiétante. – Je comprends pourquoi vos croquis sont si beaux et si bien travaillés, dit-il plaisamment. Elle s’agita sur sa chaise, mal à l’aise, et ne répondit rien. – Vous m’avez dit être partie pendant cinq ans. C’est à ...
    ... Paris que vous les avez passés ? Elle hocha silencieusement la tête, priant pour qu’on leur apportât la suite de leur repas. Elle regrettait maintenant d’avoir lancé ce brûlant sujet. Peut-être s’était-t-elle sentie simplement stupide de faire tant de mystères pour pas grand chose. Mais elle avait oublié à quel point ce « pas grand chose » l’angoissait et, comme par des connections neuronales et immuables, ramenait dans sa conscience une abondance de souvenirs et d’émotions difficiles à refouler, et aussi désespérants les uns que les autres. Son appétit avait pris un sérieux coup et Liana déglutit avec peine. M. Tomaze la scruta pensivement. Cette jeune fille lui faisait penser à un cocktail Molotov. Elle dégageait un mélange de fragilité et de défi, d’assurance et de détresse. Dans tous les cas, il avait l’impression que toutes ces petites choses contradictoires menaçaient d’exploser à tout moment. Ce ne fut qu’au dessert qu’ils choisirent de reprendre une conversation sérieuse. Pendant tout le repas, ils avaient parlé de choses et d’autres entre deux longues plages de silence, tout en vidant une deuxième bouteille de vin. Liana avait d’ailleurs remarqué qu’il buvait trois fois plus qu’elle. – Que faites-vous dans la vie, maintenant ? Vous peignez ? demanda M. Tomaze. Liana cessa de découper sa crêpe au chocolat, se sentant soudain un peu écœurée. Elle n’aurait su dire si c’était la faute du repas copieux qu’il était rare qu’elle avalât, ou bien des questions perpétuelles de ...
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