Saint Matthieu et l'ange - Histoires de Sexe

Saint Matthieu et l'ange

... n’est pas la peine d’être cruelle.— Je ne suis pas cruelle. Il ne manquait plus que ça, qu’il me fasse culpabiliser : comme si je ne me faisais pas assez culpabiliser moi-même. — Ce qui s’est passé, ce n’est pas grave, avance-t-il prudemment. Il porte sa tunique et son scapulaire noir. Ses yeux sont toujours aussi bleus, quoiqu’un peu plus rouges et humides que d’habitude. Faute à la migraine, sûrement. — J’en avais vraiment envie, poursuit-il en haussant les épaules. Je ne le vois que du coin de l’œil, car je fais mine de ne pas le regarder. — Je n’en suis pas si sûre… Il marque une pause. — Et qu’est-ce qui vous permet d’en douter ? Le ton de sa voix est calme, mais une note finale un peu plus élevée que les autres m’indique qu’il est tout près de perdre le contrôle. Je me tourne enfin vers lui, mon sac de sport sur l’épaule gauche, mon trépied sur l’épaule droite, chargée comme un dromadaire. — Frère Pacôme vous fait boire depuis des années une préparation destinée à vous éviter de déraper.— Quoi ? s’exclame-t-il, effaré.— C’est soi-disant pour guérir vos migraines. En fait, c’est à base de gattilier. Je connais le gattilier : on l’appelle aussi le…— … poivre des moines, coupe-t-il. Je sais.— Et ça coupe toute possibilité de désir. C’est vieux comme le monde, et il vous en fait boire depuis le début, j’en suis sûre. Il frappe du plat de sa main contre le chambranle de la porte, et moi, je ne peux pas sortir : il bloque l’entrée. — J’aimerais partir, je lance platement. ...

... Il ôte ses pouces qu’il avait enfoncés dans ses yeux et me lance un regard. — Raison de plus, alors. Tout ce que je vis depuis une semaine, c’est la réalité. C’est moi. J’ai envie de vous, mon corps a envie de vous, c’est naturel, c’est normal. Avant-hier, j’ai même pensé à vous en éjaculant dans ma main alors que ça ne m’était pas arrivé depuis des années…— Je n’ai pas envie d’entendre ça.— Ah bon ? Ça vous gêne ? Il semble hors de lui. — Cela fait des années que je n’avais pas réussi à faire ça ! Cela fait des années que je bande mou ; alors, alors comment faut-il que je le prenne ? Quand enfin j’arrive à être entier pour une femme, elle croit que je me moque d’elle, que je ne suis pas moi-même. Au contraire ! Je parviens à sortir de la pièce et m’éloigne dans le couloir. — Je vous l’ai dit hier, me rattrape-t-il. Je ne suis pas un ange, je suis un homme. Alors, je fais l’effort de le regarder, et je suis triste. Je suis triste de la réalité de ce que je vais lui dire. — Vous n’êtes pas juste un homme, frère Matthieu. Vous êtes un moine. Et je ne peux rien contre ça. J’ai défait le premier bouton de ma chemise. Je sais que cela fait plus « détendu ». J’ai eu du mal. À quelqu’un qui s’engage dans le mariage, tout comme à quelqu’un qui s’engagerait dans les ordres, je dirais : « Ne pas sous-estimer le divorce, ne pas sous-estimer le retour à la vie sociale. » Cela ne les empêcherait sûrement pas de s’engouffrer dans ces geôles. Tant pis pour eux. Octobre est tombé. Brûlant au ...